DANIEL J. BERGER

Pipi de chat sur un buisson de groseilles à maquereau, craie mouillée, pierre à fusil… On ne sait si la vogue mondiale persistante du sauvignon a été due à ces arômes spécifiques, à sa fraîcheur minérale ou à sa facilité à boire.
Une intéressante dégustation de sauvignons au concours des
Ligers du Salon des Vins de Loire m’a amené à scruter l’horizon de ce cépage qui s’épanouit le mieux dans le centre de la France entre Sancerre et Pouilly; dans les graves de Bordeaux, à Pessac-Léognan; et en Nouvelle-Zélande, dans la région de Marlborough.

1. Concours LIGERS du Salon des Vins de Loire, 5 février 2012

Après une première série de 13 crémants de Loire 2008 et 2009 pour se faire la bouche, la deuxième série était consacrée au sauvignon, 14 blancs 2011 IGP (Indication Géographique de Provenance — provenance que nous ne connaissions pas) –, dont certains juste sortis de cuve. Le règlement stipule qu’on ne doit rien savoir des vins servis lors d’une série et, bien que facile à deviner, la mention « Loire IGP » aurait même pu ne pas nous avoir été indiquée. 2 530 échantillons ont été dégustés par 85 jurys soit près de 300 professionnels.

Dans les 14 de notre première série, certains étaient bouchonnés, d’autres ingoûtables, peu étaient susceptibles d’une médaille. On nous a bien rappelé que 2011 est un « millésime de vignerons avec de belles surprises », traduisez une année difficile.


La formation de la note comprend 8 critères subdivisés 4 catégories — oeil, nez, bouche, appréciation globale — et fixe entre 80 et 84 points sur 100 l’attribution du Liger de bronze, de 85 à 89 celle d’argent, et de 90 à 100 celle de l’or.

Attribuer des médailles, quoiqu’en disent les organisateurs qui affirment qu’on n’est pas dans une course aux médailles et encouragent officiellement le libre arbitre des jurés, c’est bien la finalité de ce concours, comme des autres. Ainsi, 24% des vins ont été médaillés : 168 médailles d’or, 257 médailles d’argent et 185 médailles de bronze. Un quart des vins dégusté, qu’on en juge !

En re-goûtant certains, en en éliminant d’autres, en modifiant quelques notes pour arriver à un consensus, notre jury en a attribué aussi, un peu moins que ce ratio inflationniste pour une série qui méritait tout juste la moyenne, sans plus.

J’ai pu apprécier les expressions des deux experts du jury, présidé par Jean-François Liégeois, œnologue et maître des chais de Langlois-Château. Par exemple, une « finale brûlante » pour persistance dénuée de fraîcheur; « croupi ver de vase » pour nez oxydé et réduit; « limite netteté » pour manque de franchise ou de précision; et puis « molécules moisies », « boisé masquant », « rance précoce ».

J’ai aussi appris plusieurs termes introuvables dans les dictionnaires « Mots du vin » qui renseignent souvent bien moins que l’Internet, comme « acescense » — pour virage au vinaigre; « amylique » — pour arômes de bonbons acidulés ou de vernis à ongle; ou « rosine » — pour goût de beurre resté trop longtemps au réfrigérateur.

2. VILLEBOIS

Il y avait un vigneron déçu de n’avoir pas été sélectionné à participer aux Ligers, c’est un Hollandais au patronyme d’une très ancienne famille française, de Villebois, émigrée au Pays-Bas à l’époque des guerres de religion (ci-contre avec sa compatriote la journaliste Janna Rijpma).

J’ai cherché à savoir la cause du refus des sélectionneurs : « il était trouble, c’est ça ? » questionne Thierry Merlet, directeur d’exploitation. Commentaire de notre responsable de jury : « Officiellement non, ce ne peut pas être la vraie cause« , glissant malgré tout :« le conseil aux candidats, c’est de présenter des vins clairs« , sous entendu de « soigner » la préparation des échantillons (les vins sortis de fût ne sont pas collés, donc troubles, il faut des palliatifs). Et puis, un Hollandais qui produit des Sancerre, des Pouilly et des assemblages sauvignon non commercialisés en France…

Pourtant, Villebois tient une stratégie gagnante, qui marche bien en Europe comme aux Etats-Unis : une ligne simple, l’expression du sauvignon nouvelle génération, privilégiant le terroir sur le fruit, dans toute sa variété de la vallée du Cher à la Touraine. Ces vins m’ont conquis par leur intensité au nez, la stabilité des arômes du sauvignon – minéralité, buis, cassis -, sa pureté au nez et sa fraîcheur en bouche. Ajoutons la clarté et le dépouillement de l’étiquette — un même fond vert, une petite couronne seigneuriale en haut, le nom du vin au centre, la mention « Val de Loire » en bas. La classe. Et des capsules à vis (mais qu’attendent donc les vignerons français pour s’y mettre ?).

Dégustation des 2011 — 6 février et 18 mars 2012

Petit Villebois — « petit sauvignon blanc » en IGP Val de Loire comme entrée de gamme, c’est un assemblage de jeunes parcelles (- de 20 ans), 12% (4,80 € ttc). Les sensations premières du Salon en février se confirment : l’élégance de l’assemblage sait conjuguer les traits principaux du fruit et du terroir pour un vin facile à boire en toutes occasions.

Sauvignon blanc — en AOC Touraine, 12,5° (5,50 € ttc). Des vignes à maturité, dont les racines s’enfoncent dans les strates d’argile à silex jusqu’au tuffeau de la roche mère, ce qui lui confère cette présence minérale forte.
Du buis, du cassis avec, à cette 2ème dégustation de bouteilles cette fois prêtes à la vente, une touche de fruité plus piquant (agrumes).

Sauvignon blanc Prestige — AOC Touraine également, 12° (6,50 € ttc), vendangé à la main dans les plus vieilles vignes, puis sélectionné, ce « pourrait être un cru classé car il produit année après année un sauvignon blanc d’une très grande complexité » indique le propriétaire.
Aux arômes de fumé s’ajoutent des touches de poivron vert . Et ce nez intense toujours si présent !

Sancerre — AOC Sancerre cultivé sur des pentes d’argile et de silice lui donnant ses arômes minéraux particuliers de craie humide et d’hydrocarbures, de citronnelle et de sorbet, de poivron vert aussi, conjugués à la typique nuance pipi de chat (1), complément élégant complément aux notes fruitées et végétales. Du fruit, de la finesse, de la fraîcheur, de la longueur : que désirer de plus ? 13° (11 € ttc).

Pouilly fumé — AOC Pouilly Fumé (12,5°), constitué de la récolte de 5 parcelles distinctes sur sol calcaire et argilo-siliceux à La Chardoiserie, lieu-dit de l’exploitation. Précis, long, du fruit et des fleurs, déjà ouvert et aéré, voilà un vin qui comme les précédents est parfait en apéritif, mais aussi plus classiquement avec des fruits de mer, une viande blanche ou du poisson, et bien sûr un crottin de Chavignol (12 € ttc).
Villebois, 43 rue de la Quézardière, F 41110 Seigy.

À SUIVRE…

(1) ou plus savamment méthoxy-méthyl-mercato butane.
« Cet arôme n’a pas une odeur d’urine proprement dit. Dans le monde animal, elle constitue un outil de communication pour indiquer aux individus d’une même espèce qu’un territoire est déjà occupé. Quelques plantes libèrent un arôme semblable. Ainsi, si vous froissez entre vos doigts un bourgeon de cassissier, vous froncerez les narines en humant l’odeur qui s’en libère. On trouve cet arôme dans certains malt whiskies irlandais dont la torréfaction ne privilégie pas le contact de l’orge avec la fumée. » Michaël Moisseeff et Pierre Casamayor, Arômes du vin, Coll. Les Livrets du vin, p. 127, Hachette, Paris, 2002.