DANIEL J. BERGER

Alors que la consommation traditionnelle du cidre stagne ou baisse en Europe, elle ne cesse d’augmenter au Canada, en particulier au Québec. Les « artisans cidriculteurs » québecois cultivent leurs pommeraies comme les vignerons leur vignes, en longues rangées sur de vastes étendues. Comparé à l’offre de Normandie ou des Pays de Loire par exemple, l’éventail de goûts et d’arômes paraît plus large, les produits plus variés, et les techniques et méthodes de fabrication plus modernes.
Arrêtons-nous sur les jus de pommes fermentés de nos cousins, à l’occasion d’une bien intéressante dégustation fin novembre à Paris, à l’initiative de l’association
Cidre du Québec*.

Il revient de loin le cidre du Québec… Le premier pommier y a été planté en 1617 et après l’arrivée des colons de Normandie et de Bretagne derrière Jacques Cartier, il est devenu la boisson de tous. Mais à partir de 1760, les conquérants britanniques imposent la bière qui supplante le cidre, jugé pourtant « supérieur sinon égal à celui d’Europe et des États-Unis » et meilleur pour la santé que le whisky et le gin des maodzi zinglais (1), « source de ruines funestes dans beaucoup de familles. »

En 1919, c’est la prohibition. Elle ne dure au Québec que deux ans, mais on oublie de mettre le cidre sur la liste des boissons autorisées: devenu illicite, il dégénère petit à petit en tord-boyaux. Il faut attendre 50 années pour qu’il redevienne légal. Dans les années 70, les industriels se mettent à fabriquer des jus sans maturité et souvent imbuvables. Ce n’est qu’à partir de 1990 que s’implante progressivement la fabrication artisanale, en même temps qu’apparaissent les premiers cidres de glace (cueillette ci-dessus). Et 2008 pour que l’Assemblée Nationale du Québec fixe les règles de qualité.

Le cidre du Québec est un produit tout jeune.

Le Québec compte environ 600 « pomiculteurs » — de variétés mcintosh (à 60% dans la production des cidres), spartan, geneva ou cortland (2) —, pratiquant un rendement moyen de 16 tonnes de pommes à l’hectare. Les pommeraies comportent une bonne part d’arbres semi-nains plus faciles à cueillir à la main.

Les régions de culture et de production sont situées en Montérégie (ci-dessous carte 1 à partir de la gauche), dans les cantons de l’est ou « Estrie » (carte 2) et en Outaouais, dans les Appalaches (3) et Chaudière, les Laurentides (4) et Lanaudière, et la région de Québec (5) et de Charlevoix.

 

 

 

 

 

L’ensoleillement et la luminosité, les gels printaniers et les terroirs caractéristiques des flancs de coteaux de ces régions contribuent plus qu’ailleurs à un équilibre sucre/acidité des pommes favorable à la production de cidres.

Les cidres du Québec résultent le plus souvent d’un assemblage de plusieurs variétés de pommes. Les artisans venus présenter leurs produits à Paris ont tenu à préciser que la maturité des pommes est essentielle à la qualité du cidre, mais aussi que les conditions et styles de fabrication ont autant d’importance que la qualité des variétés elles-mêmes.

Trois sortes de cidres: les tranquilles ou « plats », les effervescents ou « bouchés », et les cidres de glace.

Le cidre tranquille ou plat, « fruité et vif ». La cueillette intervient de mi-août à fin octobre, rarement plus tard. Il faut environ 1,7 kg de pommes pour en produire un litre. Les pommes sont d’abord broyées pour faciliter le pressage et l’extraction des jus. La fermentation dure deux à trois mois. Dès que les moûts se sont transformés en cidre, la consommation peut débuter. Les taux d’alcool sont variables, de 1,5 à 15°. Doux ou sec, il peut être substitué au vin. Le cidre plat, léger et transparent, n’a pas de réel équivalent en France.

Le cidre effervescent. Même principe de départ que pour le cidre tranquille. Ensuite l’effervescence est obtenue par injection de CO2, c’est le « pétillant gazéifié ». Tandis que pour les cidres « bouchés » elle l’est par mise en cuve close après première fermentation, la 2ème y emprisonnant le CO2. Pour les cidres en méthode champenoise, la 2ème fermentation se fait cette fois en bouteille, dite « prise de mousse ».

Le cidre de glace. Les variétés de pommes tardives sont récoltées en plein hiver (photos ci-dessus et ci-dessous). Il faut 9,5 kg de pommes soit environ une centaine pour un litre de cidre de glace. L’eau qu’elle contiennent est éliminée sous forme de glace (la congélation artificielle est interdite). La concentration naturelle en sucre est élevée et donne un degré alcoolique entre 7 et 13°. C’est le sucre résiduel qui le rend moelleux ou liquoreux. Il peut aussi être mousseux ou élevé en fût de chêne. Par rapport à bien des vins liquoreux et de glace, il déploie une plus grande fraîcheur en bouche.

Deux méthodes de fabrication au nom barbare. La plus répandue (95%), la cryoconcentration : les pommes sont récoltées à maturité à l’automne et stockées, puis pressées plus tard, en décembre. Les moûts sont alors placés à l’extérieur pendant l’hiver. C’est le gel/dégel qui opère la concentration naturelle du sucre.
L’autre méthode est la cryoextraction (5%) : les pommes sont récoltées et entreposées en plein air au froid. Elles peuvent aussi être cueillies gelées, déshydratées par le soleil et cuites par le froid et le vent : au pressage, la concentration des sucres se trouve dans la pomme et non dans le jus comme pour la cryoconcentration. Les cidres de glace ne sont pas obligatoirement issus de pommes gelées.
L’autre idée reçue est qu’ils se ressemblent tous :au contraire, la production a été réglementée (interdiction d’ajouter alcool, sucre, arômes ou colorants) et va faire l’objet d’une Indication Géographique Protégée « Cidre de glace du Québec » et d’une classification afin de reconnaître les spécificités région par région.

Des trois, ce sont les cidres de glace qui ont enregistré la plus forte progression de ventes en 10 ans atteignant aujourd’hui environ les 2/3 du total : il en était commercialisé 7 sortes/marques en 2002, passant à 35 en 2005, et à 70 aujourd’hui, pour un chiffre d’affaires d’environ 5 M€, en croissance régulière. On peut s’attendre à développement soutenu de ce marché. Le Québec est l’inventeur et le pionnier mondial des cidres de glace.

Une grande variétés de produits.
Les Québécois paraissent à la recherche de produits à la fois authentiques et sophistiqués, aux arômes plus raffinés et structurés. La définition du cidre s’élargit et sa consommation aussi : à l’apéritif, seul ou avec des liqueurs de fruits, ou en cocktails avec des mousseux; avec les repas, le cidre tranquille remplaçant le vin blanc, et le cidre de glace servi avec terrines et pâtés, viandes séchées et fumées, foie gras frais ou poëlé, fromages, desserts. Les produits qui existent déjà :
un cidre rosé, à base de pomme à chair rouge, la geneva, additionné de pelures de pommettes (3) macérées dans le moût.
Le cidre « apéritif », titrant de 15 à 20°.
Des cidres aromatisés aux fruits, au miel ou au sirop d’érable.
Le cidre liquoreux, avec un sucre résiduel de 80 g/l et titrant de 5 à 15°.
La mistelle, connue dans l’ouest de la France sous le nom de pommeau, qui n’est pas un cidre proprement dit. On l’obtient à partir de moûts frais auxquels est ajouté de l’alcool — procédé des « vins doux naturels » comme par exemple le Banyuls ou le Pineau des Charentes, dits « mutés » (rendus muets) : l’alcool ajouté bloque l’évolution des levures naturelles, ce qui en empêchant la fermentation, permet de fortifier les arômes caractéristiques (4). La mistelle québécoise titre entre 15 et 20°.

Les cidres proposés à la dégustation regroupaient quelques tranquilles, des mousseux et des cidres de glace en majorité. Les tranquilles et les mousseux sont indisponibles en France en raison de leur prix, entre 15 et 25 €, qui ne peut convenir au consommateur français habitué à un cidre entre 1 et 3-4 €. Ils ne sont donc pas mentionnés ci-dessous.

HUIT CIDRES DE GLACE

Les cidres de glace sont conditionnés en bouteilles de 37,5 cl et aussi de 50 cl. Vendus, quand on arrive à en trouver, entre 15 et 20 € ht chez quelques cavistes et épiceries fines, ils peuvent trouver tout à fait leur place sur le marché français.

Le GivréCasa Breton, vallée de l’Etchemin, région de Bellechasse dans les Appalaches. 4 000 pommiers (18 variétés).
Effervescent. Nez de caramel. Sucré, presque liquoreux.

Un goût de péchéCidrerie Verger Joe Giguère, Sainte-Famille, Île d’Orléans, sur le fleuve Saint-Laurent à 5 km de Québec.
Peut être bu aussi bien en apéritif que pendant les repas avec du foie gras, des fromages et des desserts.

IglooDomaine Orléans, 2 km sur le fleuve St-Laurent, le long de la chute Montmorency et de la côte de Beaupré, à quelques minutes de Québec.
Couleur dorée foncée. Sent bon la cave. 10°. À servir frais sur fromage bleu, chocolat, tartes.

L’éventail des alliances préconisées par les cidriculteurs est fort large, des terrines, rillettes de toutes sortes, foies gras, aux fromages sans exclusive, jusqu’aux tartes aux fruits, pâtisseries et au chocolat.

Cidre de glace 2011Domaine Cartier-Potelle. 30 ha à flancs des coteaux du mont Rougemont dans les Appalaches, où poussent aussi des érables.
Assemblage empire, délicieuse rouge, mcintosh, spartan, cortland. Cryoconcentration (récoltes d’automne). Âromes de pommes fraîches et de fruits exotiques. 10°. Pour l’apéritif.
Cuvée précieuseLes Vergers de la Colline à Ste Cécile de Milton. Variété golden rusett récoltée gelée. Comme du bonbon fondant.
Le Fruit défenduLa Pommeraie du Suroît, à Franklin, tout près de Québec. Uniquement en cryoextraction: empire, mcintosh, spartan pressées gelées entières pendant 24h.
Fraîcheur, authenticité. Le Prestige offre plus de complexité et de profondeur.
Cœur de feuCoteau Rougemont, devant la plaine de Montérégie.
Issu de la variété empire, fortifié à 2% avec de l’eau de vie de pomme. 16°. Classé « Cidre de feu » (eau de vie). Autres cidres produits: tranquille, aromatisé à la framboise, de glace, de glace fortifié, de feu; et un poiré de glace (variété beauté flamande).

Mon préféré

Cryo de glaceCidrerie Hugo Poliquin. 4 ha au Mont Saint-Hilaire, dans la vallée Richelieu au sud de Montréal.
Nez fin et charmeur, notes d’épices, d’abricot, de miel, avec des effluves un peu mystérieuses de pommes de l’enfance.
Autres produits (non dégustés): Cryo Mousseux, Prestige, et Tête de cuvée.

—————————————————————————————————————————————————————————————————————————————- * Les Cidriculteurs artisans du Québec 555, boulevard Roland-Therrien, bureau 100, Longueuil, Québec, CANADA J4H 3Y9. Tél. 1-450-679-0530, caq@upa.qc.ca, www.cidreduquebec.com. Contact en France: EquiLibrE, florence.dapoigny@sfr.fr.

En plus des cidres, ils proposent d’autres produits issus de pommes comme les moûts et le beurre de pommes, et des services à la propriété tels que vente de pommes, cueillettes en groupe, initiation à la dégustation, événements, animations et réceptions.
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(1) Maudits Anglais

(2) Et pour les connaisseurs, canada, crispin (mutsu), délicieuse rouge, eden, elstar, empire, gala, gravenstein, honeycrisp, jersey mac, liberty, lobo, newtown, paula red, redcort, russett et golden russett, vista bella et encore bien d’autres variétés anciennes.

(3) De diamètre inférieur à 3 cm, fruits du pommetier (crabtree). Pendant la floraison, entre 8 et 12 jours, leur couleur vire du blanc au pourpre par des dégradés de rose. Elles peuvent rester sur l’arbre après la chute des feuilles. Utilisées pour les gelées et confitures.

(4) En anglais fortified wines.