CATHERINE BERNARD
Sort en DVD ces jours-ci le film de Randall Miller BOTTLE SHOCK, joli succès aux Etats-Unis non diffusé dans les salles en France. Bottle Shock est une fiction tirée d’un livre paru dans sa version française à l’été 2008, Le Jugement de Paris (Éditions Gutenberg), qui doit lui-même son titre (Judgment Of Paris, California Versus France) à un article paru en 1976 dans l’hebdomadaire Time.
L’article, comme le livre édité en 2005 aux USA par Scribner’s, sont du même George M. Taber, correspondant de Time Magazine au moment des faits. Ce livre est passionnant. Je ne sais pas ce que vaut le film ( voir BA YouTube ).
Paris, 24 mai 1976. Le Britannique Steven Spurrier, caviste respecté à Paris, qui veut faire découvrir aux Français les vins californiens, organise une dégustation à l’aveugle mêlant vins californiens et français (des grands bordeaux et bourgognes). Il réunit un jury de dégustateurs incontestables, rien que des Français. Et, en blanc comme en rouge, les vins Californiens l’emportent. Avec le talent pour la communication qui est le leur, les Américains le font savoir et imposent deux genres qui ont depuis changé la face du monde du vin : les dégustations à l’aveugle comme étalon de classement, et les vins de cépages.
La prohibition a changé le goût du vin des Américains
Partant de ce Jugement de Paris, George Taber raconte la naissance du vignoble à Napa Valley (XIXe siècle), sa quasi mort avec la prohibition (1920-1933) et sa résurrection à la fin des années 50. Comme souvent dans l’histoire américaine, le vin californien est une histoire de pionniers, de fous pour tout dire, inscrite dans un Etat et une période l’un et l’autre contestataires, une aventure humaine. Je l’avais oublié, le cousinage est frappant. Comme en France, le vin californien doit beaucoup à la religion catholique, les Franciscains ayant fondé autant d’églises que de vignobles : 21. Grâce encore à la religion – et aussi à la médecine et aux familles italiennes -, il échappe à la mort totale pendant la prohibition, Beaulieu, l’une des caves, devenant « La Maison du vin d’autel ».
La prohibition – rampante aujourd’hui chez nous disent certains -, a aussi pour effet de profondément modifier le goût du vin des Américains : « les consommateurs exigeaient maintenant deux sortes de vin, tous deux de très mauvaise qualité. (…) Le premier était un vin de table sec surnommé Dago, du nom du producteur italien qui en faisait une grande quantité. (…) L’autre était un vin doux, sucré. En 1935, les vins doux représentaient 81% de la production en Californie. »
Napa Valley renaît grâce à des pionniers, admirateurs du vin français
Après-guerre, les héros du « réveil » sont pêle-mêle des immigrés, Mike Grgich, débarqué de Croatie en 1958 à Napa Valley avec un béret basque et quelques dollars glissés dans ses semelles de chaussures; des fils d’immigrés, Winiarski (fils de vigneron en polonais); des « pieds tendres de Los Angeles », Jim Barrett, avocat « souffrant de surmenage industriel » qui ressuscite Château Montelena et autres.
« Parfois, ils venaient seuls; le plus souvent ils étaient en couple. Certains étaient milliardaires, d’autres n’étaient pas loin de la pauvreté. Ils arrivaient de tous les coins du pays. Tous avaient un parcours différent(…). Nombre d’entre eux étaient en quête d’un mode de vie plus proche de la nature. Comme les premiers pionniers arrivés en Californie près de deux siècles auparavant, ces nouveaux venus espéraient trouver un peu de terre et s’y construire un avenir. »
Dans les vignes et dans les caves, ils expérimentent, s’entraident, travaillent avec les universités. Tout est possible, du système D aux premières fermentations artificielles : « En 1956, Bruce fit un peu de vin, avec des raisins du cépage concord, qu’il pressait de façon unique. Il mettait les raisins sur un grand morceau de plastique qu’il repliait, avant de recouvrir l’ensemble de planches. Puis il passait en voiture sur les planches. Pour finir, il versait le jus dans des bonbonnes de quatre litres où la fermentation commençait avec de la levure Fleischmann, utilisée pour le pain. »
Du stade artisanal à une industrie de 200 000 personnes
Dans le lot, il y a Robert Mondavi. Se crée, écrit George Taber « une fraternité viticole locale ». Ils ont pour modèle les vins français qu’ils boivent et reboivent: « après les avoir bus, ils plaçaient les bouteilles vides dans leur local de mise en bouteilles, presque comme des offrandes sacrées à Bacchus. »
George Taber termine ainsi son enquête: « ce qu’il y a de plus frappant en Californie, depuis la dégustation de Paris, c’est le bond effectué par la viticulture d’un stade artisanal à une industrie pesant 45 milliards de dollars de chiffre d’affaires et employant 200 000 personnes. »
Les riches entrepreneurs de Silicon Valley ont commencé à chercher des maisons avec vue sur les vignes : « comme les Rothschild en France un siècle auparavant, les nouveaux riches américains demandent au vin de les anoblir. »
Le Jour où le monde du vin a basculé : vu de Napa Valley
Par Catherine Bernard | Vigneronne | 12/02/2009 | 13H38 – RUE89
A première vue, il semble plus intéressant de diminuer la concentration en sucre d’un moût, plutôt que la concentration alcoolique d’un vin. Pour cela, on peut procéder par osmose.
OSONS DIRE les choses jusqu’au bout !
Comme celui de 1976, le “Jugement de Paris” de 2006 est resté méconnu et ignoré du public français : 30 ans après a eu lieu une nouvelle dégustation à l’identique, dans les mêmes conditions de sérieux; et cette fois, ce sont quatre vins de Californie et un de Long Island qui se sont classés dans les cinq premiers devant les mêmes trois grands français, placés d’ailleurs dans le même ordre qu’en 1976 – Mouton Rothschild, Montrose, Haut-Brion…
COMMENTAIRES À CATHERINE BERNARD POSTÉS SUR RUE89:
— De Chandrakhala 15H44 | 12/02/2009
Le roman est peut-être bon, mais pour avoir vu le film, je vous le déconseille: un long métrage mal filmé, sirupeux au possible, rempli de grosses ficelles (relations filiales, amours adolescentes, rivalité amoureuse, tout ça sur fond de compétition viticole et de difficultés financières), mettant sur un piédestal des héros idéalisés. J’espère que les vins californiens sont meilleurs que leurs films!
— De Hélène Crié-Wiesner, écrivain, spécialisée en environnement | 16H13 | 12/02/2009 |
Je suis arrivée au Etats-Unis en 2000, au Texas plus précisément. A cette époque encore, les vins offerts dans les pots professionnels et les fêtes – c’est à dire bus par les gens normaux – étaient immondes: servis dans des bouteilles de 2 litres, rouges rapeux ou outrageusement boisés, et pour le blanc, systématiquement du Chardonnay un peu sucré. Beurk! Neuf ans plus tard, il est bien rare de se voir offrir ce genre de piquette, les gens seraient insultés.
Au Texas, des « vins de pays » commençaient à faire leur apparition. Très chers, trop cher pour la qualité tout de même inférieure à celle des vins californiens, mais on sentait que les nouveaux vignerons en voulaient. Maintenant, je suis en Caroline du Nord (Sud, mais côte Est), et les vins locaux de très bonne qualité pullulent. On se fait régulièrement des virées dans les vignobles, on achète en caisses, et on est très content d’avoir trouvé une alternative raisonnable aux vins de Californie, très, très chers, même pour les Américains.
Il paraît que la culture du raisin sur les anciens champs de tabac rend particulièrement bien. En plus, ici, pas besoin d’installer des ventilateurs géants pour éviter aux vignes le gel nocturne, comme en Californie, où la consommation d’énergie des vignerons est hallucinante. Si un jour, en France, vous tombez sur des bouteilles de Caroline du Nord, n’hésitez pas.
A part ça, les vins français, du moins ceux de qualité moyenne, restent moins chers que les vins locaux. Car oui, on trouve énormément de vins français aux Etats-Unis, et plus seulement dans les épiceries de luxe, comme c’était le cas il y a dix ans.
— De Homer555, travailleur plus qui a gagné moins | 16H22 | 12/02/2009
Il me semble qu’il y a des traitements supplémentaires avec les vins californiens comme un passage à la désalcoolisation qui doit aussi avoir un coût. Qu’en est-t-il de nos jours? Les Californiens ont toujours recours à cette pratique ?
— De Hélène Crié-Wiesner, écrivain, spécialisée en environnement | 16H55 | 12/02/2009
Je ne savais pas qu’on ôtait l’alcool des vins en Californie. Pourquoi font-ils ça ? Perso, quand je vois trois verres de vin californien, ça me fait le même joyeux effet que trois verres de vin français.
— De Homer555,travailleur plus qui à gagné moins | 17H26 | 12/02/2009
Il me semble qu’à la production, le vin californien est beaucoup plus alcoolisé qu’un Français en raison du soleil beaucoup plus fort sur cette terre. Je me souviens qu’à un moment, il fallait le mettre en camion citerne et l’emmener à l’usine de désalcoolisation. De mémoire, il faut retirer les arômes et les colorants. Ensuite, de l’eau + alcool qu’il reste, on retire une partie de l’alcool par évaporation avant de remettre les arômes + colorants. C’est tout un passage en usine.
Mais le monde du vin est en constant mouvement, donc je ne sais pas si la pratique est encore répandue.
— De RedIsDead 17H55 | 12/02/2009
Les vins ont tendance à contenir de plus en plus d’alcool, car, en général cela va de pair avec la concentration des arômes qui plaît tant au consommateur moyen.
Les vins produits sont de ce fait nettement plus impressionnants et, lors des dégustations, ils ressortent le plus souvent du lot, ce qui dans une perspective commerciale n’est pas négligeable. Par ailleurs, les vins très alcoolisée et fruités sont souvent appelé « vin modernes » (Mondovino?)
Normalement le taux d’alcool contenu dans un vin ne devrait pas dépasser 15°.
En fait, la pratique de la désalcoolisation permet surtout à un vin de conserver ses qualités aromatiques tout en restant à un niveau d’alcool acceptable. En France, cette pratique est interdite et perçue, jusqu’ici, comme artificielle. Certain producteurs dénoncent ainsi une concurrence déloyale des vins du nouveau monde qui ne se mettent pas ce genre de barrières, alors que d’autres refusent toute idée de manipulation « artificielle » des procédés de vinification.
On assiste ainsi à l’émergence d’une nouvelle culture œnophile qui prône le retour à des vins moins riches en alcool et plus fins, perçus comme plus « authentiques ». Posant de la sorte les bases de l’éternel débat entre conservateurs et progressistes, mêlé cette fois ci à une guerre globale contre le « goût industriel » (trop intense pour être naturel…)
— De Laquiche, se lève tôt pour gagner beaucoup moins |12H43|13/02/2009
Attention, la désalcoolisation sert souvent à obtenir des vins à des concentrations d’alcool plus faibles que la teneur minimale de l’appellation (souvent 8-9% vol). Cette pratique n’est pas interdite car pratiquée, même en France et légalement. Par contre, elle sort du cahier des charges de l’AOC.
Les résultats de ces procédés sont très irréguliers, mais j’ai été bluffé par certains vins dégustés à l’aveugle.
— De Jean-Claude Touvois, oh | 17H55 | 12/02/2009 | Permalien
Chére viticultrice,
J’avoue que j’ai un peu de mal à vous suivre, car que nous annoncez-vous ? L’arrivée de vins « étrangers » en France ? Une nouvelle crise viticole ? La « gourmandise » des Anglais pour les vins du monde y compris le nouveau ? La possibilité du faire du vin en Languedoc ?
Concernant les vins « étrangers » sur les tables françaises, depuis les vins de Chypre au XIIéme siécle que les Vénitiens livraient en carafe de cristal au bouchon de verre scellé à la poudre d’émeri, en passant par les vins de Malvoisie venus de Gréce, le Tokay considéré comme le meilleur vin du monde depuis le XIIIéme siècle, le vin de Constance qui suivra Napoléon dans son exil de Sainte-Hélène, les Riesling en vendanges tardives au 19éme, sans parler du Xéres, du Pasto, de l’Amontillado… Et j’en passe.
Alors qu’aujourd’hui les vins de Californie, entre autres, arrivent sur nos tables, il n’y a là que rien de plus normal, mais certainement pas une rupture dans la chaîne de l’histoire viticole mondiale.
Si les Anglais sont attirés par les « nouveaux vins », ils ne font que continuer ce qu’ils ont toujours fait, découvrir des vins, et les faire apprécier à travers le monde. C’est d’ailleurs en Angleterre au XVIIIéme siécle que l’abbé Claude Arnoux, établi dans le commerce du vin, constatant que le goût anglais est plus raffiné que celui des Français, y fait publier un lexique franco-anglais du vocabulaire œnologique.
Quand à la crise du vin… elle permet pour l’instant d’ouvrir des débats sur le type de vin qu’il faut développer, et là comme dans beaucoup de secteurs, il y a les tenants du « productivisme » à gros rendements, de « l’élitisme » à gros prix, du « naturel » à découvrir et du plaisir à partager autours d’une bonne bouteille.
— De mondrian14 06H07 | 13/02/2009 |
J’ai lu Le Jugement de Paris de George Taber qui est absolument merveilleux. Tous les amateurs de bons vins devraient se précipiter pour le lire. Bottle Shock, le film inspiré de cette histoire, en revanche, est ridicule.