par Daniel J. Berger | Avr 4, 2009
DANIEL J. BERGER
La Toscane viticole se porte bien et veut faire savoir que le Chianti continue de s’améliorer, que les Super Toscans sont devenus un modèle haut de gamme qui s’exporte, copié aux USA, en Australie et ailleurs.
Elle a organisé du 18 au 21 janvier dernier un libation mahousse pour la presse européenne : plus d’une centaine de vins présentés, dégustés et… bus.
Suite et fin du reportage.
MERCREDI 21.01.09
— BOLGHERI : Grattamacco, collectif de vignerons de l’appellation
— COLLINE LUCCHESI : Tenuta Valgiano
— Collectif MONTECARLO
• Podere Grattamacco.
Les bâtiments de Grattamacco, créé de toutes pièces il y a une vingtaine d’années, sont situés sur une colline entre Castagneto Carducci et Bolgheri, et de la salle de dégustation on domine le vignoble qui ondule entre bois et forêts sur 12 ha (photo ci-dessous).
C’est la propriété de Claudio et Maria Tipa, frère et sœur qui possèdent également Colle Massari à Cinigiano entre Grossetto et Montalcino, remarqué pour l’audacieux dessin du chai au milieu des vignes, un « monument du vin » confié à l’architecte Edoardo Milesi. Il est 10h15, la dégustation commence :
— Grattamacco blanc 2006 — vermentino 100%, 6 mois de barrique, 6 en bouteille. Joli nez végétal, fumé, boisé. Janna Rijpma me murmure : « un vin bio pour thalasso qui me rappelle mon passé. »
— Albarrello 2005 — CS 70%, CF 25%, PV 5% (29 €) : nouveau Bolgheri Sup, à mûrir.
— Bolgheri 2005 — CS 50%, SGV 30%, M 20% (14 €) : « Bien que l’appellation Bolgheri DOCG n’existe que depuis 1994, nous savons faire des vins internationaux au « goût italien » typique libéré du « goût français » » explique le maître de chai.
— Grattamacco rouge 2005 — 65% CS, M 20%, 15% SGV, qualifié « vin de terroir » (45 €).
Conclusion du maître de chai, Luca Marrone : « nous sommes plus jeunes que bien des Australiens et des Chiliens ! » Veut-il dire que la Toscane a rejoint le Nouveau Monde ?
• Ristorante da Ugo à Castagneto Carducci : dégustation d’un collectif de viticulteurs de Bolgheri
Nous sommes réunis ensemble sur une grande table longue pour déguster un présentation collective des appellations Bolgheri et Bolgheri Rosso Superiore, puis déjeuner en compagnie des vignerons. L’endroit est sympa, c’est Pasquino qui cuisine – plats traditionnels bien sûr, pâtés, pasta, gibier. Dans l’autre partie de la salle, trois clients assez jeunes en sont à leur 2ème bouteille, et du Michele Satta I Castagni (70% CS, 20% Sy, 10% T), le plus cher (44 €/b).
Bon niveau dans l’ensemble, des prix élevés comme celui du Caccia al Piano Levia Gravia 2004 dans lequel les cépages ont bien du mal à se complèter — CS à 70%, M à 25%, Sy à 5% : 32 €; le Castello de Bolgheri 2005 souple au départ et dur en fin, c’est inhabituel: 27 €; et Tenuta Argentiera 2005 (CS+M) propriété des frères Fratini « de Florence » associés à Piero Antinori « il Marchese » : 24 €. On on l’impression de surpayer la marque et l’appellation.
J’ai apprécié l’originalité du Foglio38 (nommé d’après la référence cadastrale) de Fornacelle, une sélection de CF 100% aux arômes de verger (rhubarbe, artichaut) et de canne à sucre — « pas mûre » ajoute André Magalhes qui doit savoir de quoi il parle (13 €). C’est Silvia Menicagli Billi (photo ci-dessous) qui l’a vinifié, elle a des idées et des envies sans complexes
Silvia devant notre table. À droite, la bouteille de son original Foglio38
Silvia produit aussi un Zizzolo Bolgheri rosso DOC (60% M, 40% CS) à 13,5°, un peu discret en millésime 2007 (4,5 €); et un Zizzolo bianco Toscana IGT.
Les Bolgheri se montrent puissants, entre 13,5° et 14,5°, et parfois somnolents ou gauches. Ils m’ont laissé l’impression à la fois d’adolescence — une majorité de vignobles ont été (re)plantées dans les années 1990 —; et de liberté — on essaie toutes les combinaisons de cépages et de terroirs, parfois laborieusement. Et créer des vins dans une région où n’existait aucune réelle tradition vinicole est certainement enthousiasmant.
• Tenuta di Valgiano près de Lucca, en appellation Colline Lucchesi
À droite ou à gauche ? En passant par la petite route derrière l’église, là-bas ? On voit les lumières de la ville fortifiée de Lucca 250 m plus bas (ancienne république indépendante jusqu’à la conquête par les Français en 1799 dont Napoléon fait une principauté pour sa sœur Élisa — d’où francisation en « Lucques » —, puis duché de Bourbon-Parme en 1815, et rattaché à la Toscane en 1847). Personne ne connaît l‘introuvable maison sur la colline.
Enfin Laura di Collobiano nous accueille, avec la distance aristocratique d’une brillante risque-tout qui a recréé ce vieux vignoble de 35 ha il y a 10 ans, y pratique la biodynamie depuis 2002 (sur tout le domaine) et la gravitation au chai (ni pompes ni tuyaux), a emprunté à trois banques et s’est entourée d’œnologues-stars — Moreno Petrini, passé par Castello Terricio et Saverio Petrelli. Elle est « un laboratoire passionnant des nouveaux vins toscans», on la considère d’avant-garde, elle sait où elle va et selon Bettane+Desseauve « chaque année ses vins gagnent en élégance de tanins ».
Dégustation d’échantillons :
— Palistorti 2008 (ou « poteaux tordus », impossibles à faire tenir droit dans le sous-sol de roches calcaires et de galets) : un blanc en appellation Colline Lucchesi bianco DOC – 1/3 vermentino, 1/3 chardonnay et sauvignon, 1/3 trebbiano : assez austère et sans beaucoup de charme arômatique, trop jeune sans qu’on devine comment il se développera (5,80 €), et
—Tenuta di Valgiano 2008, Colline Lucchesi rosso DOC – 70% SGV, 15% Sy, 15% M : issu de vieilles vignes (1959), deux ans en barrique. Et les jeunes vignes, à 8,50 €/b (par 600 b). Puis d’ambitieux 2007 et 2006, qui se mériteront avec l’âge, où prime la quête d’harmonie entre les cépages – d’ici (SGV), et d’ailleurs (Sy, M) –, leur donnant une hauteur de ton, noble, altière, dont les trésors restent encore cachés (15 000 b/an, 25 €).
• Dégustation du collectif Montecarlo
De retour à Lucca (ci-contre, vue satellite de l’enceinte fortifiée) pour une dernière dégustation collective à La Fattoria Torre :
— Esse, rosso di Toscana IGT 2004, de Borgo La Torre (20 €), un intrigant Sy 100%, aux arômes de mûre, prune, chocolat, menthe et eucalyptus, médaille d’or au concours des Syrah en 2008 à Ampuis;
— Cercatoja un rosso IGT 2005 de la Fattoria del Buonamico, 40% SGV-Sy, 60% CS-M.
NB. « Cercatoja » veut dire « raccourci », mais en fait de raccourci, les nouveaux propriétaires de cette exploitation de 30 ha produisant 300 000 b/an, sont en plein « yop la boum » (8) : ils élargissent leur gamme de blancs, ont pris un nouvel œnologue, Alberto Antonini, refondent les chais, créent de nouvelles étiquettes, la tabula rasa quoi.
Et lors du dîner :
— les blancs La Ferruka, 100% chardonnay; Altair, bianco di Toscana IGT 2007, viognier et vermentino 50-50 de Borgo La Torre (4 500 b/an); et Vasario 2004, pinot blanc et sauvignon de Buoamico frais et fruité;
— les rouges Stringaio 2005, rosso di Toscana IGT de Borgo La Torre, 70% Syrah, 30% CS; Il Fortino 2005, Toscana IGT de Buoamico, 100% Sy; et pour finir, encore Esse, rosso di Toscana IGT 2004, de Borgo La Torre (mon préféré de la journée).
(8) Expression qui plaît tant à Daniel Percheron, « Léon » pour les intimes, cf. son Bruits de langue (10/18, 2009). Lire aussi ses Notes de bar (Le Passage, 2008), malicieuses restitutions d’ambiances où ne manque que la mention du contenu des verres lampés au zinc des (nombreux) établissements visités.
Mes conclusions de cet aperçu très partiel de la Toscane viticole :
— Une réelle diversité des expressions de terroirs et des combinaisons de cépages ou avec ou sans sangiovese, cépage local traditionnel, manquant souvent de la souplesse du merlot et de la race du cabernet sauvignon, mais qui s’allie naturellement avec la cuisine toscane.
Les uns, qui font du vin librement dans des zones où n’existait aucune tradition vinicole, attribuent au sangiovese un rôle d’arbitre face à ces « cépages internationaux » qui l’accompagnent ou le supplantent.
Les autres qui lui confèrent un caractère identitaire, ne tolèrent de cépages extérieurs qu’en renfort, pour atténuer la sécheresse tannique du SGV et en allonger la fin de bouche.
Ces oppositions de vues et de projets, qui peuvent néanmoins s’abouter par les extrêmes (parle-t-on d’une proportion de SGV dans le mélange de cépages internationaux majoritaires, ou d’une porportion de cépages internationaux dans le SGV cépage dominant ?) est cause du foisonnement des initiatives individuelles et d’une recherche de qualité commune et partagée de qualité, quelles que soient les irréductibles différences de millésimes — 2001 et 2004 dominants on l’a bien vu, et 2003 et 2005 moins réussis et vendus moins chers.
On perçoit une situation « fluide », sans jeu de mots, car les valeurs ne semblent pas pleinement affirmées ni les règles définitivement fixées : la modification de la carte des appellations et la diversification des typicités sont toujours en quête de consensus.
— L’œnotourisme se généralise : les exploitations souvent nichées dans des paysages séduisants ont en majorité une bonne capacité d’accueil comme à Borgo La Torre, Bulichella (hôtels), à Podere Terreno, Gualdo del Re (gîtes). La prestance de ces demeures en briques ou en pierres charpentées, avec vue sur les vignobles, les collines et les bois, a beaucoup de charme au cœur de cette région où il faut savoir marcher, écouter les oiseaux et les chasseurs, et sentir les odeurs de l’argile après la pluie, des oliveraies et des sous-bois.
— Des prix élevés à l’avantage de crus aussi bien ou mieux constitués que les Médoc ou les Graves, qui peuvent se montrer en revanche plus conventionnels et manquer de la fougue et de la fantaisie toscanes.
— Les vignerons font preuve de solidarité dans les initiatives de promotion, aidées précisons-le par l’administration — déduction fiscale (de 30% aux conzorzi et 50% au négoce) qui doit être réutilisée en promotion à l’export; campagnes publicitaires importantes (budget annuel d’environ 1,7 M€ en 2008 pour le chianti classico par exemple), soigneusement adaptées à chaque pays d’exportation.
— La pratique répétée de la dégustation doit augmenter notre faculté de fascination et de captation au point que nous l’exprimons par la « prise » de vues répétée. Regardons-nous : des pictophages !
F I N