DANIEL J. BERGER

Notre récent voyage-dégustation en Alsace nous a permis d’actualiser nos connaissances sur le vin kasher en posant 3 QUESTIONS à Gaby Dzialoszynski, délégué vinification pour le Consistoire de Strasbourg, qui intervient sur l’ensemble de l’Alsace et dans de nombreuses régions vinicoles françaises.
Gaby Dzialoszynski  vin kasher
1.    Qu’est-ce qu’un vin kasher ?
C’est un vin élaboré conformément aux prescriptions rituelles du culte hébraïque en respectant scrupuleusement les lois de la kasherout, le code des prescriptions alimentaires du judaïsme. La loi judaïque s’ancre dans une longue tradition qui n’a pas varié depuis les débuts du Talmud il y a 3000 ans, remontant plus avant encore, à l’époque où la tradition orale n’était pas transcrite. Selon cette tradition, tout comme le pain le vin est un produit sacré, et la cérémonie de sanctification les jours du Shabat et de fêtes religieuses s’effectue au-dessus d’une coupe de vin.

Les vins kasher sont élaborés comme les autres vins, mais avec des précautions supplémentaires. Tout le matériel — pompes, cuves, tuyauteries, pressoirs, matériel de mise en bouteille, etc. — est nettoyé méticuleusement par jets de vapeur afin d’éliminer toute « impureté ». Et les cuves de stockage sont détartrées et purifiées par trois bains d’eau froide.

Seuls les délégués rabbiniques ou Shomrim, et éventuellement des étudiants talmudiques, sont aptes à effectuer, sous la responsabilité du viticulteur ou propriétaire, les diverses opérations de vinification — pressurage, tirage, filtrage, échantillonnage, collage, ouverture et fermeture des cuves, etc. —, jusqu’à la mise en bouteilles. Une fois bouchées, un ’’sceau rabbinique’’ est apposé sur la capsule et sur l’étiquette garantissant la certification kasher.

2.     Les viticulteurs sont la tête et vous les mains ?
On peut dire ça, car les délégués rabbiniques qui « purifient » le matériel et effectuent l’ensemble des opérations de vinification après l’arrivée du raisin au chai, n’excluent jamais la concertation avec les producteurs. La coopération peut avoir lieu dès la période de la fleur, par exemple pour sélectionner des parcelles en prévision d’une date de vendange qui doit toujours tenir compte du calendrier des fêtes juives successives (Roch Hachana, le Nouvel An, Yom Kippour ou Grand Pardon, Soukkot ou fête des Cabanes) — période critique pour la fermentation et pendant laquelle tout travail se trouve interdit par la loi hébraïque.

Tout repose sur le respect scrupuleux des traditions, obsolètes mais inamovibles… Ainsi le personnel non juif ne peut toucher aux installations, contenants, matériels, ni aux bouteilles avant bouchage de peur que le vin ne soit « désacralisé » par un goy (1), considéré selon la règle talmudique originelle comme idolâtre.

3.    Quels sont les pays producteurs ?
La plupart font des vins et champagnes kasher, essentiellement pour une clientèle de consommateurs juifs, mais pas seulement. L’ensemble des adjuvants doit être certifié kasher, certains colorants artificiels et agents de conservation étant interdits. Et aux USA, 2ème marché de consommation après Israël et devant la France, le vin kasher est souvent assimilé au bio (« organic« ) et consommé par un large public non juif.

En France, la majorité des régions et des appellations en produisent, dont certains grands bordeaux comme Pontet-Canet, Lafon-Rochet, Léoville Poyferré, Malartic-Lagravière, Giscours, La Gaffelière, ou encore Smith Haut Lafitte, Valandraud, Rollan de By, Rauzan-Gassies.
Ici en Alsace, la tradition est toujours bien vivante (2). On l’entend beaucoup dire aujourd’hui du vin rouge, mais dès le XIème siècle le vin blanc était considéré bon pour la santé par quelqu’un comme Rashi de Troyes.

En Israël, le vin est historiquement une boisson religieuse mentionnée à maintes reprises dans l’Ancien Testament. Du VIIème à la fin du XIXème siècle la culture de la vigne et la consommation du vin y ont été anihilées avec l’arrivée en 636 de Saladin puis le règne des Sarrazins ensuite, soit douze siècles. Ce n’est qu’à partir de 1870 que les Juifs ont recommencé à produire du vin en Palestine, à l’initiative du Baron Edmond de Rothschild qui en 1882 plante des pieds provenant du Château Lafite à Pauillac : Rishon Le Tsion, « le 1er à Sion » et Zichron Yaacov, « en mémoire de Jacob » — prénom d’un de ses fils —, créant en Samarie deux vignobles devenus symboliques de la renaissance du vignoble d’Israël, qui produit aujourd’hui environ 50 millions b/an (3). Le logo du ministère israélien du tourisme représente une énorme grappe de raisin portée par deux hommes, symbolisant les explorateurs envoyés par Moïse en Terre Promise et revenus avec ce témoin de la fertilité des terres découvertes dans la vallée du Jourdain.

(1) Terme appliqué dans le Talmud aux populations limitrophes d’Israël qui a progressivement acquis un sens proche de Gentils, du latin gentiles ou « nationaux », c’est-à-dire non juifs.

(2) Rencontré à Goxwiller au Domaine Koenig (9 ha) qui produit quelque 40 Kb/an en kasher sur 50 Kb/an au total, Gaby Dzialoszynski remarque : « c’est un marché de niche et contrairement à ce que pensent certains producteurs qui voudraient y entrer, la production n’est pas extensible, car seuls 10% des juifs pratiquants boivent du vin kasher. La Coopérative de Sigolsheim proche d’ici, a d’ailleurs arrêté d’en produire. »
On se procure les vins kasher chez de nombreux cavistes ou auprès de distributeurs spécialisés comme IDS Wine (grands crus bordelais), Wyyne, etc.

(3) On compte quelque 250 entreprises vitivinicoles en Israël, et 150 boutiques vendant 100 000 b/ an. Les ventes croissent de 40% pendant la période de Pessah (Pâque juive), et du nouvel an juif.
Le vin kasher est difficile à trouver en supermarché, car une majorité d’Israëliens n’en consomme pas. La consommation domestique est passée de 4 l/an/hab entre 1948 et 1980 à 6 l/an/hab aujourd’hui – à comparer aux 50+ l/an/hab en France, Espagne ou Italie, et aux 11 l/an/hab aux USA). 50%+ des ventes de vins d’Israël sont réalisées aux USA, 10% en France et 9% au UK.