PIERRE CHALMIN
Écrivain brillant et rare, styliste de grande race, connaisseur de bouteilles et d’ivresse, Pierre Chalmin (ci-contre, photographié à son mariage) livre la première de ses préfaces non publiées aux Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio, dont le 2ème tome, L’Été, vient de paraître chez Pocket.
Celle de L’Automne, intitulée NOUS IRONS TRINQUER SUR VOS TOMBES sera en ligne ici fin août.
1. FESTIVAL ESTIVAL — En règle générale on dit plus de conneries l’été que l’hiver, on est plus décontracté.
— Homme ivre, toujours tu chériras la mer !…
Nos accoudés au comptoir chérissent en effet les embruns, brouillards poétiques qu’évoque l’écume au bord des bocks. La saison venue, ils s’embarquent pour d’improbables Cythère, las accompagnés de leur épouse qui moins que jamais ressemble à Aphrodite… Périples où ils ne côtoient « que des pédés » en des « bleds ringards » où Paul Ricard n’a pas apporté la Civilisation.
Nos amies les femmes, « grosses vaches » peu ou trop mythologiques pour leur part, se confrontent et trémoussent dans une déplorable concurrence plus ou moins emmaillotée avec les indigènes : occasion pour le mâle français, dont l’infaillible goût est justement réputé, de constater que sa femelle est la pire de toutes. En automne, il ne l’avouera pas.
C’est la grande désillusion du Français en voyage : il ne séduit pas subitement. En dépit d’une flatteuse, séculaire, littéraire et finalement regrettable réputation, on le prend partout pour un Belge.
— Servez-nous plutôt à boire, trinkons, biberons, drinkons, krunkons,
le geste supplée l’apprentissage las trop tôt qui parut inutile des langues étrangères. Le Bref de Comptoir sait toutes les langues de toute façon, qui a tant à dire; les étrangers manquent cruellement de conversation, et c’est tant mieux explicable qu’ils boivent mal, et pas du pastis.
L’été s’achève pour les moins favorisés en septembre, c’est « la rentrée des gosses », ces emmerdeurs qu’on commit un soir d’estivale ivresse, un soir où mon Dieu, démaillotée, la chair fut faible et qu’on crut sa femme hâlée exotique.
Mais voici que surgit l’idéal estival, qu’a-t-il donc vu, l’extraordinaire étranger ?
— Ce que j’aime sur les ports, moi, c’est les sirènes des bateaux… tant qu’y aura des sirènes de bateaux… après, la vie… ça va… mais ces sirènes… nom de Dieu… c’est la terre qui dit qu’elle est grande.
Allons, tout n’est pas perdu, l’automne sera poète, patientons encore un été.
P. C.