DANIEL J. BERGER

Le 4 septembre dernier, le Rheinhessenwein (office du vin de Rhénanie-Hesse) nous avait préparé à Alzey au sud de Mayence, une surprenante dégustation de vins rouges à l’aveugle, imaginée par le Dr. Ludwig Tauscher. Il fallait déceler la provenance française, italienne ou allemande et éventuellement le cépage des 14 rouges présentés, et les noter.

rougepasvDès la 3ème bouteille, on pouvait deviner qu’il s’agissait du même cépage par le nez épicé et le rouge peu dense, à coup sûr du pinot noir. Mais trois pays d’origine… le doute planait. En réalité, parmi ces premières 7 bouteilles seuls deux bourgognes étaient en lice — un Chassagne-Montrachet et un Beaune 1er cru 2007 de chez Morey manquant singulièrement de relief, bien peu à leur avantage —; et il n’y avait pas d’Italiens dans le lot.

Oui, les 4 Spätburgunder* et Frühburgunder* « Sélection » (cad vieilles vignes, vendanges manuelles et cépages classiques locaux) d’Inghelheim et de Westhofen, quoique jeunes (2007 aussi) se sont montré supérieurs (y compris à un pinot noir Sud-Africain introduit là en intrus), fruités, frais, déjà intenses (à conseiller sur des terrines, pâtés et quiches, et la viande de porc). J’ai trouvé ces pinots noirs différents de ceux d’Alsace, plus épicés et acides, et plus charpentés et propices à la garde. C’était la première surprise, confirmée le lendemain chez Johanninger avec les superbes « Phyllit » 2004 et 1999 (ce dernier en magnum) de la région Rheingau de l’autre côté du Rhin, récoltés sur les pentes du grand fleuve truffées d’ardoise, bien draînante et concentrant les rayons du soleil sur le pied des vignes.

Deuxième surprise, le 8ème vin — certainement trop parfumé, chaleureux, ample et enrobé pour un rouge allemand, forcément réputé vert. Italien alors ? Eh bien non : c’était un Mainzer St-Alban Syrah, un vin quasi exotique. Il faut dire que dans la région Rheinhessen (Rhénanie-Hesse, ou Hesse rhénane c’est selon), où dominent les cépages Dornfelder (hybride créé en 1956) et Portugieser, Pinot noir ** et, dans une moindre mesure, Merlot et Cabernet sauvignon, la Syrah reste atypique (0,1 ou 0,2% en Rheinhessen).

Troisième surprise, et de taille, le Cabernet sauvignon et les Merlots qui ont suivi : placés après un Bellegrave 2006 (CS Ht-Médoc) et un Dassault 2006 (M St-Émilion GCC), le CS 2007 du weingut (domaine) Peth-Wetz à Bermersheim, et les M St Alban 2007 du chez Fleischer (Stadt Mainz) et Rosengarten 2003 de Spiess (Bechtheim) auraient pu/dû pâlir après les Bordeaux — à la bien terne figure dans ce cortège —, d’autant qu’entre les deux s’était intercalé, sans les dominer, l’IGT de Toscane 2006 « Magari » de Ca’ Marcanda, assemblant CS et San Giovese. Les rouges du Rheinhessen ont brillé.

Concernant la notation, l’enthousiasme des 16 journalistes internationaux participant à l’exercice les a poussés à la générosité, — rien en dessous de 14/20, quatre 16+ pour les Rheinhessen (mais la meilleure note, 16,91, au supertoscan « Magari » d’Angelo Gaja) — pour des vins somme toute moyens comparés aux grands blancs dégustés ensuite lors des deux jours de découverte du Rheinhessen.

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Ludwig Tauscher, directeur de l’Office du vin de Alzey qui a conçu cette dégustation, est un fin politique — il se présente aux élections régionales sur la liste CDU, son affiche est dûment matronnée par Angela Merkel (ci-contre) —, qui a réussi à nous faire prendre conscience que les rouges de la Rhénanie-Hesse (8 000 ha*** pour
18 000 ha en blancs) ont désormais acquis le plumage (robes foncées/grenat) et le ramage (entre 14 et 15°) de ses homologues français et italiens, et qu’il va falloir désormais compter avec eux.
La démonstration a été habile et le pari gagné.

Ce voyage s’est conclu avec une preuve supplémentaire de la qualité des vins rouges du Rhin, la dégustation d’un St Laurent 2007 de J. Mette, et de deux pinots noirs (Spätburgunder), un 2007 « Terra Pares » et un Tolzler 2006 de Morstein, offerts par le groupe à Wilfried Moselt, journaliste-écrivain de là-bas et concepteur du voyage, qui nous les a immédiatement offerts à son tour.

* Frühburgunder  : clône de pinot noir, précoce et au taux d’acidité moindre.
Spätburgunder  : nom courant du pinot noir.

** ainsi que les Regent (résistant bien à la pourriture); et Saint Laurent, cépage confidentiel (< 300 ha dans toute l’Allemagne), associé au vignoble autrichien mais en réalité (re)découvert en Palatinat dans les années 70. Faussement identifié comme dérivé de pinot noir, il proviendrait d’un cépage autochtone du sud de l’Alsace.

*** La superficie plantée en vins rouges s’est progressivement agrandie depuis les années 80 jusqu’à occuper aujourd’hui environ 40% des 100 000 ha du vignoble allemand. Le Pinot Noir, multiplié par trois en 20 ans, est devenu le 3ème cépage derrière les blancs Riesling et Müller-Thurgau, et devant le rouge Dornfelder dont la surface a elle-même quadruplé en 10 ans. Il semble néanmoins que l’arrachage de plants blancs au profit des rouges soit en train de s’arrêter.