DANIEL J. BERGER
Oui patience, ça ne fait qu’une trentaine d’années qu’Israël fait des vins qui ont de l’ambition.
La récente présentation à Paris d’un panel des meilleures productions hébraïques nous a sensibilisés à certains points: l’invocation implicite d’une culture du vin perdue depuis 12 siècles; la jeunesse du vignoble et de l’activisme vitivinicole israéliens contemporains; un style globalement « cosmopolite », entre Nouveau Monde et Europe.
ENTRE NOUVEAU MONDE ET EUROPE, DES STYLES VARIÉS
C’est au contact de consultants d’un peu partout, en priorité de l’université Davis (Californie), puis d’Australie et d’Europe,de France notamment, que les jeunes œnologues israëliens se sont formés. Et sont allés parfaire leurs connaissances dans les pays de tradition vinicole. Aujourd’hui ils sont à l’œuvre chez eux, le premier d’entre eux, Sasson Ben Aharon qui dirige Binhyamina; Loir Laxer, diplomé de l’école de Beaune et ex-collaborateur de Michel Rolland (Carmel); Doron Rav-Hon, formé de même à Beaune (Ella Valley); ou l’original Ze’ev Dunie (ci-contre) aidé de Baruch Langer (Sea Horse).
L’industrie israélienne semble s’être mise être d’accord sur un style d' »inspiration méditerranéenne » se voulant fédérateur dans l’ouverture. Il aurait d’ailleurs été intéressant de pouvoir comparer les vins d’Israël présentés à Paris le 18 janvier dernier avec ceux du Liban et de Syrie (plusieurs contrats de consulting confiés à des œnologues français) et pourquoi pas de Chypre et de Turquie, pour tenter de mieux saisir cette identité méditerranéenne orientale.
Le vignoble israélien appartient incontestablement au Nouveau Monde en raison de sa jeunesse — les vignes ont pratiquement toutes moins de 30 ans, une bonne partie moins de 20, certaines moins de 10, et de nouvelles plantations sont effectuées chaque année —; en raison aussi de l’importance de l’université Davis dans la formation des œnologues et viticulteurs de l’État juif.
En termes de style, d’identité et d’ambition, on ne discerne pas encore comment les critères de style vont s’axer : l’importance du marché d’exportation outre-atlantique peut amener un alignement sur le « goût américain »; mais Israël exporte aussi en Europe, en France notamment, plus exigeante en matière d' »authenticité » et de terroir, tout en étant dans l’expectative des vins mûrs, structurés avec des touches exotiques, racontant des histoires d’ailleurs, comme ils le faisaient jadis de régions d’un même pays.
VINS DÉGUSTÉS le 18.01.10 (salons de l’OIV 18, rue d’Aguesseau à Paris 8ème)
— Golan Heights Winery: « Gamla Brut NV » 50% Ch, 50% PN; Yarden Ch (1) « Odem-Organic vineyard 2008 » 100% Ch.
Comme du champagne ! C’est avec ces deux effervescents dont le 2ème en bio, du « pays du vin d’Israël » comme on surnomme Golan Heights, que j’ai commencé cette très instructive dégustation.
Situé à Katzrin au NE du pays, Golan Heights Winery est l’une des caves les plus connues tant en Israël (20% du marché national) qu’à l’international (20% de sa production sont exportés, représentant 40% du total des exportations du pays). 17 vignobles (dont 16 sur le haut Golan et 1 en Hte Galilée) entre 400 et 1 200 m, totalisant 600 ha. Filiales: Galil Mountain (voir ci-dessous), Yarden USA. Marques: Gamla, Golan, Yarden. Les vins de Yarden, récoltés au Golan, illustrent ce que l’altitude peut apporter en région chaude: la nuit modère le processus de maturation qu’accélère le soleil durant la journée, évitant aux vins la lourdeur (voir plus bas).
— Domaine Castel : « Petit Castel » 2009 50% CS, 45% M, 5% PV (1); « Castel Grand Vin 2006 » 70% CS, 25% M, 5% PV.
J’ai du respect pour Eli Ben-Zaken (voir post Larmes délicieuses d’Eli 20.04.08) et j’aime ses vins. Il a gagné son pari depuis plusieurs années en se tenant à son rêve de faire, à côté de Jérusalem, des bordeaux convaincants, très convaincants… un vigneron de St-Emilion les découvrant lui a un jour demandé : « Qu’est-ce qu’on va devenir si les Juifs se mettent à faire du bon vin ? ».
Depuis plus de deux décennies, Eli transforme l’essai chaque année, en vendant cher (45 € le grand vin) les 100 000 bouteilles qu’il produit sur 13 ha plantés serrés (6 700 pieds/ha), là où il a planté ses racines à lui, son terroir des collines de Judée, lui le Juif de la diaspora sépharade (Alexandrie) dont la femme connaissait à peine l’hébreu en arrivant en Israël, au moment de la guerre des Six Jours. Mais on commence à parler d’autre chose que de vin… Eli Ben-Zaken fait aussi un blanc 100% chardonnay, « C » comme Castel ou comme chardonnay, un grand, inspiré par un Puligny Montrachet qu’il a bu un soir en Bourgogne et qui l’a marqué à vie.
— Barkan Sauvignon Réserve 2006 : 100% CS « Altitude +624 » (Galilée); et « Altitude +412 » (Haute Galilée) (1).
Provenant de vignes du plateau du Golan, avec 15% de raisins de Hte Galilée pour le 1er, et 100% pour le 2nd, aux altitudes respectives indiquées sur l’étiquette. Deux vins bien faits et élégants, robe violacée, un peu massifs, sympathiques et faciles à boire, le CS est beau, fruité mûr, mais la longueur modeste. International. Impossible de dire à l’aveugle: vin d’Israël.
Barkan contrôle 900 hectares principalement en altitude (Golan, Haute Judée, Haute Galilée), et produit 9 Mb/an à partir de vignes à 60% en propriété et à 40% en partenariat. Exportations à 25%. Plantations de 120 ha en 2009, et 120 ha prévus en 2010, en Haute Galilée (similitude avec la Haute Provence).
— Binyamina 2006 : « Hahoshen Saphir » 40% CS, 35% Sy, 25% M (Hte Galilée); et « Yogev Cabernet Sauvignon et Petit Verdot » 80% CS, 20% PV.
Que se passe-t-il ici ? On a comme une impression de basse-cour un jour de pluie, ce n’est pas le rancio que ça sent, mais la fiante. Pb de niveau de soufre insuffisant ?
Fondé seulement 4 ans après la création d’Israël, en 1952 donc, par l’immigré hongrois Joseph Zelker, passé entre les mains de nombreux hommes d’affaires de Hollywood à l’immobilier qui le reprennent et investissent copieusement, Binyamina est dirigé par l’œnologue vedette Sasson Ben Aharon qui a passé des contrats de longue durée avec des viticulteurs en Galilée, en Judée et au Neguev. Marques : Binyamina Réserve, The Chosen (L’Élu), Yogev, Teva, Kramin. Production: 2,8 Mb/an.
— Carmel « Limited Edition » 2005 CS, M et PV; et « Appellation » CS 2007 CS et M (Hte Galilée).
Nous sommes là en plein dans le style international, lisse, presque impersonnel, certes agréable mais sans grand caractère.
Carmel, 1ère et plus ancienne entreprise du pays (1882) toujours propriété Rothschild. 1 400 ha, 15 Mb/an, 4 chais à Rishon Le Zion, Zichron Ya’acov (lieu historique de la renaissance du vin israëlien, centre oenotouristique), Kayoumi, Yatir, ce dernier géré de manière indépendante. Produit le vin le plus vendu en Israël, Carmel Selected (blanc).
— Ella Valley: « EverRed 2006 » 57% CS, 35% M, 8% Sy; « CS (1) 2005″ 95% CS,5% M; « Merlot 2005 » 95% M, 5% CS
Des vins techniques, internationaux, dont je n’ai su découvrir ni le style ni l’originalité. Une équipe multiculturelle, ambitieuse, performante.
Créée en 1988, Ella Valley Winery possède 3 vignobles sur les collines de Judée (Aderet, vallée de l’Ella, Nes Harim à 750 m) totalisant 80 ha. Prod: 200 000 b numérotées. Export 40%. Dirigé par Dani Valero, formé en Napa Valley, managé par Udi Kaplan (à gauche), vinifié par Doron Rav-Hon, formé au domaine Jacques Prieur à Meursault, marketé par Iris Berg (à droite), diplômée d’Auckland University (NZ). Certification cachère. Slogan: tradition, progrès, qualité.
— Galil: « Galil Mountain Rosé 2008 » 82% SGV, 13% M, 5% Barbera.
Un rosé très expressif, là vraiment original, surprenant de saveur et de fraîcheur, dont on peut sans doute dire « c’est un vin de haute Galilée ».
Joint venture entre Golan Heights et le kibboutz Yiron, Galil Mountain comprend 5 vignobles (Yiron, Malkiya, Yiftak, Misgav Am et Meron, situées en Hte Galilée et au Golan, et possédant chacun une topographie et un climat distincts, dont 4 sont exploités en kibboutz et un en moshav fondés à la fin des années 40. Le kibboutz des pionniers demeure un symbole pour l’agriculture (et la viticulture) israëlienne, synonyme de prouesses.
— Margalit: « CS 2003 » 88% CS, 12% CF; « Cabernet Franc 2007 » 95% CF, 5% CS; et « CS 2002 » 85% CS, 7% CF, 8% M.
Sans doute les vins les plus « authentiques » de cette dégustation, avec une gueule de terroir, très foncés, conférant au CS des allures conquérantes inabituelles, un goût de sueur animale, suintant d’un beau raisin mûri à point, aux nuances d’épices et de garrigue, pas forcément très aimable de prime abord, de bonne garde. On peut parler de « style languedocien ». C’est un peu comme ça que je vois le futur du vin en Israël, typé, évocateur de son terroir, puissant.
C’est une toute jeune entreprise que celle de Yair Margalit assisté de son fils Asaf, passionné des cépages de Bordeaux, passion exclusive (pas d’autres cépages que les cabernets et le merlot), qui a commencé en 1989 non loin de Rehovot puis s’est installée en 1994 près du littoral entre Tel Aviv et Haïfa. Deux vignobles sur les monts de Galilée, l’un au sous-sol volcanique près du village biblique de Kadita (CF), l’autre de terrarossa sableux près celui de Binyamina (CS, M). Production : env. 20 000 b/an. Yair Margalit, ingénieur chimiste, professeur de technologie et chimie du vin à l’institut Technion, a écrit 3 ouvrages: Small Winery Operation (1990), Concepts in Wine Chemistry (1997) et Concepts in Wine Technology (2004).
Le leaflet de présentation se clôt sur une pensée de W. B. Yeats : Wine comes in at the mouth/ And love comes in at the eye;/ That’s all we know for truth/ Before we grow old and die./ I lift the glass to my mouth,/ I look at you and I sigh.
— Sea Horse: « Antoine 2005 » 100% Sy; Antoine 2006 74% Sy, 13% G, 13% Mo; Antoine 2007 76% Sy, 17% G, 7% Mo
Des vins harmonieusement faits dans les mons de Jérusalemn, originaux et inspirés comme l’est leur concepteur, Ze’ev Dunie, les deux derniers meilleurs à mon goût.
Sans doute la marque/entreprise la plus marginale du groupe. Des étiquettes originales : Antoine (de Saint-Exupéry), Munch, Lennon, Fellini, Camus, Gaudi, et James « à la mémoire de Rony James, vigneron, viticulteur, enseignant et camarade. Des cépages, qu’on ne trouve guère ailleurs: chenin, zinfandel, petite syrah, grenache, mourvèdre… Les axes : bio, travail entièrement à la main, bas rendements, production confidentielle (1 800 b/an). La personnalité artiste du propriétaire qui se qualifie de « vigneron indépendant »: J’ai été cinéaste pendant 25 ans et à la suite d’un docu sur le vin, je me suis intéressé à la viticulture et j’ai décidé de commencer une petite production.» Son objectif : que Sea Horse exprime au plus proche la qualité et l’identité des raisins cultivés en Israël.
— Teperberg 1870: « Meritage 2007 » 70% CS 20% M 5% PV (vallée d’Ella); « Silver Chardonnay 2008 » 100% Ch et « Silver Syrah 2007 » 100% Sy (collines de Judée).
Impeccable contrôle de la qualité. Le blanc est joli mais sans typicité, les rouges ont un goût international dont l’identité géographique est indiscernable à l’aveugle.
Rare entreprise ancienne, comme l’indique l’année de sa création attachée à la marque elle-même, aujourd’hui à la 7ème génération, et l’une de plus modernes du pays, qui a un centre œnotouristique en projet. Teperberg produit env 7 Mb/an et exporte dans 22 pays. Deux vins du catalogue qui n’étaient pas présents et pour cause, illustrent bien les recherches de compromis, orchestrées par l’œnologue en chef Shiki Rauchberger assisté par un collègue français, Olivier Fratty :le Teperberg Silvercomposé de 4 cépages rouges (CS, M, Sy, SGV) et de 2 blancs (Ch, riesling vendange tardive), et Terra, de même : CS, M, Ma, CS-M (?), et sauvignon et emerald riesling :grand écart ou schizophrénie. Et d’ailleurs, pourquoi pas ?
— Tishbi: « Jonathan Tishbi Special Reserve Cabernet/Merlot Sde Boker 2004 » 50% CS 40% M 10% CF
Ample et onctueux, flatteur, à la fois expansif et secret, voilà un très beau vin de fin de repas pour clore le bec un moment aux bavards qui refont le monde à table: ce vin va ravir tous et chacun.
Tishbi veut dire « chéri ». C’est aux Tishbi que le généreux baron Edmond de Rothschild demande de refonder le vignoble d’Israël en 1882… Belle histoire de famille. Après plus d’un siècle à Zichron Ya’acov, la famille fonde en 1984 le domaine Tishbi comprenant un vignoble au pied du Carmel sur le littoral, et un autre dans le désert du Néguev. Distribué dans une quinzaine de pays.
(1) Rappel des abréviations de cépages : CF pour cabernet franc; CS: cabernet sauvignon; Ch: Chardonnay; M: merlot; Ma: malbec; Mo: mourvèdre; PN: pinot noir; PV: petit verdot; SGV: sangiovese; Sy: syrah…
À SUIVRE …