DANIEL J BERGER
La forteresse est assise sur le haut d’une colline mais en contre-bas d’une autre, on la voit de loin, bloc de pierres aveugle au toit presque plat, un peu asiatique, socle silencieux dominant la vallée et les 500 hectares de forêt, d’oliviers et de vignes du domaine.
Nous sommes au coeur de l’appellation Morellino di Scansano (Grosseto), au château de Monte Pò, propriété depuis toujours de la famille de Jacopo Biondi Santi (photo ci-dessous), qui nous accueille avec chaleur, en tenue de chasse, les autres chasseurs vont arriver et se préparer pendant qu’il va nous présenter l’histoire du lieu et de sa famille, allons là-bas à droite sur le promontoire aux petits chênes.
« Nous faisons du vin ici depuis 1300 et quelques. C’est mon grand oncle Feruccio Biondi Santi qui a « créé » le Brunello à la fin du XIXème : il a réussi à sélectionner le clône de sangiovese grosso BBS 11, toujours en place aujourd’hui et qui reste notre marque de fabrique. Mon père, Tancredi Biondi Santi, a continué avec la sélection massale (*), et moi j’ai mis en œuvre une sélection clonale plus poussée, pour mieux prendre en compte le niveau qualitatif du vin et j’ai généralisé la sélection parcellaire. »
Jacopo Biondi Santi se voit comme un maillon d’une longue lignée, dont son fils, qu’il nous présente, sera le prochain et ainsi de suite. Et comme un manager qui a l’ambition de conduire et développer une entreprise moderne, entouré d’agronomes, chercheurs, œnologues en menant les investissements nécessaires pour hausser la qualité (et les prix de vente) dans le respect des traditions et savoir faire familiaux – contrôle scientifique des sélections, optimisation du vieillissement en bouteille (5 à 6 ans). Il désigne au loin l’étendue du vignoble, 25 ha, et nous montre le plan de son futur chai ultramoderne à Il Greppo, capable de mieux produire (80 000 b/an). C’est au castello di Montepò même qu’il a installé sa base opérationnelle.
Arrivent Porsche Cayenne beige (deux), BMW X5 argentées (deux), Jaguar verte (une), vieux break Alfa Romeo (un), le groupe de chasseurs rejoint son point de RV. Les coffres s’ouvrent, les chiens sortent, un pointer à poil blanc s’étire. Ils examinent une carte, Biondi Santi montre le parcours de la main. Les chiens aboient. On entend des coups de feu au loin. Ils tueront des sangliers, peut-être une biche, un renard. Ils sentiront les parfums de bois. Ils croiseront leur regard en s’embusquant pour s’approcher de chevreuils qui jouent, tireront, l’un tombera assis, mufle en l’air, ouvrant et fermant la gueule, et roulera à terre au second coup.
Voilà ce que je me raconte en gravissant les vieux escaliers de pierre débouchant dans une vaste salle où sont suspendus une centaine de têtes de gros et autant de bois de cerfs et de biches séculaires. Au milieu, immense billard dont la table est chauffée, ils viendront y jouer au retour. Château habité sans l’être, le fils a un peu modifié l’ordonnancement du père – ici, salon pour jouer aux cartes; là, longue pièce au plafond bas où l’on devait faire attendre les intendants, régisseurs, fournisseurs, dont les banquettes ont juste été recouvertes de toiles rustiques; au fond, bibliothèque dont les volumes n’ont pas dû bouger depuis longtemps. Nous montons encore, jusqu’à la pièce de réception, armoiries, haute cheminée, armures, où sont disposées quelques bouteilles.
Elles sont trop froides pour la dégustation ces bouteilles. Le technicien arrive en catastrophe, un peu perdu à part sur les questions techniques. Le vin est servi dans de grands verres, on le fait tourner dans nos mains pour qu’il réchauffe :
— Sassoalloro 2005, IGT Toscano Rosso, sgv 100%, 14 mois en fût de chêne de Tronçais. Un vin très dur, tannique, hautain, alcoolique (13,3% alc.), puissamment acide, qui doit être encore attendu, au moins jusqu’à 2015 (12 €). Trop froid.
— Schidione 2001, IGT, sgv 40%, CS 40%, merlot 20%, macération longue (18 jours), vieilli 24 mois en fût de chêne Tronçais, assemblé en cuve inox. Comme tout superstocan qui se respecte, le prix doit être élevé : 50 € ! Le sgv planté à 500 m d’altitude est assez « froid » et son jus a besoin d’être réchauffé par le CS et le merlot (13,3% alc). Trop froid pour être dégusté sérieusement.
— Castello di Montepò 2008, DOC Morellino di Scansano, sgv BBS11 95%, CS 5% (13,5% alc.).
4 mois en cuve inox puis 8 en barriques. Tannins présents, puissant et vineux, typicité bien toscane, mais trop jeune, et surtout trop froid (12 €).
Pauvre Castello di Montepo! Quel beau site abimé par des éoliennes inutiles, moulins à vent ubuesques d’un modernisme déplacé dans un lieu de quiétude, destiné à Bacchus et nom au Dieu volta. Porque miseria!