DANIEL FILIPACCHI – Extrait de ses Mémoires (1)
« Si Frank (2) n’avait pas été là, il m’aurait été impossible de travailler longtemps avec Norman (3). Frank savait le prendre, sans jamais le contrarier. De plus, ils parlaient longuement ensemble d’un de leurs sujets préférés : le vin. Ils avaient tous les deux la prétention d’être de fins connaisseurs. Cela m’agaçait. J’ai toujours pensé que les œnologues professionnels sont souvent des bidonneurs, faciles à confondre. Et les amateurs encore plus.
Je fis à Frank un coup qu’il ne me pardonna pas facilement.
De retour de Londres, un dimanche à Marany, dans la maison qu’il avait achetée à Jean Pech, l’associé de mon père, je lui offris une boîte de conserve contenant de la poudre de vin rouge.
— Tu te fous de ma gueule, me dit-il, tu ne crois quand même pas que je vais boire du vin en poudre !
— Tu as tort, dis-je, ce n’est pas mauvais. Ça vaut un bordeaux style wagons-lits (4). Je vais te le préparer.
— Allez, arrête tes bêtises.
Je repris ma boîte. La semaine suivante, je revins avec un petit bidon dans lequel j’avais versé une bouteille du vin préféré de Frank : le Château Margaux, une année correcte, j’ai oublié laquelle.
Il remplit un demi-verre de ce vin, le porta à sa bouche et, avec une expression dégoûtée, se précipita à la fenêtre pour le recracher bruyamment.
Je sortis de ma poche l’étiquette de la bouteille de Château Margaux que j’avais soigneusement décollée et la lui mis sous le nez.
Notre amitié résista à cette épreuve, mais ce fut limite. »
Je n’ai pas lu l’ouvrage écrit par Daniel Filipacchi.
J’en connais une petite part, bercé que je fus durant mes années estudiantines, par les deux émissions cultes d’Europe 1 co-produites avec son comparse et ami Frank Ténot.
Je souhaite exprimer ici mon admiration pour l’innovateur, redresseur d’entreprises et créateur de valeur ajoutée, et fondateur d’un empire de presse qu’il a été, en liaison avec Frank.
Je veux aussi rendre hommage au sens de l’amitié qui a toujours été le sien et à ce talent qu’il a eu « pour faire prendre la mayonnaise de l’amitié », ce qui prouve à ceux qui n’en ont pas l’imagination aujourd’hui, que l’on peut réussir ensemble au lieu de se « planter » tout seul.
Le coup de chapeau final au patron visionnaire qui entré dans la vie active à l’âge de 13 ans, sans études poussées, a su prouver que l’on pouvait détecter, faire grandir et prospérer des talents, là où bien des énarques de 2 fois 13 ans bardés de diplômes ne réussissent qu’à ruiner ce qui existe.
Bravo l’artiste !