DANIEL J. BERGER

La région du Haut-Adige fournit aux consommateurs italiens la majeure partie des vins effervescents de qualité produits chez eux, en particulier la région de Trente. C’est à cette ville déjà chargée d’histoire depuis le long Concile (1545-1563) qui l’a rendue célèbre, que l’on doit la naissance en 1902 du Champagne italien l’appellation n’était pas protégée à l’époquecréé par Giulio Ferrari. Ce personnage mythique, la famille Lunelli qui lui a succédé, entretient sa légende et perpétue son nom, devenu une marque aussi célèbre en Italie que celle du constructeur automobile : les deux homonymes ont d’ailleurs passé des accords d’exclusivité réciproque, chaque victoire d’un bolide Ferrari est arrosée inévitablement au spumante Ferrari.

Le 4ème volet du reportage sur les effervescents de la région de Trente est consacré à une dégustation des spumanti Ferrari, organisée dans leur Locanda Margon lors d’un récent voyage de presse à l’initiative de la Mostra vini del Trentino.

La Villa Margon où nous étions d’abord conviés est un lieu merveilleux, une résidence au pied du Monte Bondone où l’air des Dolomites est pur et frais et qui ne pourrait guère exister ailleurs que dans cette large vallée du Haut-Adige, une villégiature de presque cinq cents ans dont les proportions sont en harmonie avec la nature environnante (ci-dessus, les trois bâtiments faisant face à la Villa, dont à droite la chapelle du XVIIIème siècle).

La Villa Margon a été construite dans la première partie du XVIème sur des terres de l’archevêché de Trente. Elle a hébergé quelques-uns des cardinaux et prélats venus de toute l’Europe, convoqués en concile par le pape Paul III pour réagir au réformisme luthérien et calviniste dont le vent se levait sur le catholicisme romain (1). De 1545 à 1563 donc, avec des moments d’interruption, Trente a été pendant 18 ans pour ainsi dire le centre du monde : des messagers spéciaux dépêchaient les missives des Pères conciliaires à Rome et dans les cours royales d’Europe; un corps de police dédié assurait la sécurité de cette ville de 8 000 habitants qui accueillait, nourrissait et abreuvait quelque 4 000 visiteurs venus de 15 pays, car dans les tavernes comme dans les résidences ecclésiastiques, on descendait bien : mentionné auparavant dans ce reportage, l’historien Michelangelo Mariani relate par exemple qu’au « fameux banquet du 25 juillet 1546 en l’honneur du Cardinal de Trente, furent servis d’exquis vins blancs, rosés et rouges des coteaux du Trentin » (sans doute du marzemino d’Isera pour le rouge).

Au cœur de Trente aujourd’hui, un certain nombre de monuments majestueux rappellent sa puissance mondiale d’antan : l’imposante cathédrale romane du Duomo et les églises baroques où s’est tenue la majeure partie des sessions du concile; le Castello di Buonconsiglio surplombant la ville; et les palais Renaissance aux nombreuses fresques extérieures de la via Belenzani (ci-dessous) — rue où a été domicilié le siège de Spumante Ferrari jusque dans les années 1950.

 

 

 


Ci-dessus, sur la via Belenzani bordée de palais baroques ornés de fresques, de droite à gauche : le palazzo Thun, le palazzo Geremia, et les maisons faisant le coin de la plaza del Duomo, dont l’une est la résidence d’un des membres de la famille Lunelli.

Etaient reçus également à la Villa Margon (photo ci-dessous à gauche) des personnalités et hommes illustres, dont une fois dit-on l’empereur Charles Quint. Et des artistes venus de Venise et des Flandres chargés d’y réaliser des fresques d’intérieur, soit allégoriques (l’ancien et le nouveau Testament, les saisons) ou historiques (les grandes batailles de Charles Quint). Les couleurs en sont si vives encore aujourd’hui, comme celles des fresques extérieures des nombreux palais de Trente, que les experts continuent de s’interroger sur les matériaux qui pouvaient bien être utilisés par les peintres et les coloristes de l’époque.

Un visiteur anglais a pu s’amuser de la naïveté de ces fresques comme celle du mois de janvier montrant les hommes jouant aux cartes pendant que les femmes s’activent aux fourneaux; ou du mois de juillet où les propriétaires s’attablent en famille sous les arcades de la Villa pour y déjeuner en contemplant les fermiers battant le blé en plein soleil (ci-dessous à droite) : quoi de mieux pour se mettre en appétit  que le spectacle du travail des autres ? concluait-il avec un humour typiquement britannique.

 

 

 

 

 

 

 

D’autres fresques évoquent dans la tradition des riches heures du Moyen-Âge, dans un décor idéalisé, les travaux de la vigne tels que la taille (« taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de mars« ), ou la préparation des tonneaux pour les vendanges de septembre-octobre.

 

 

 

 

Ci-dessus détails de la taille de la vigne, copiés de l’original (à gauche) et reproduits dans les salons de l’usine Ferrari à Trente.

Quand Camilla Lunelli arrive, un courant d’air passe, le ciel devient un peu plus bleu, l’herbe un peu plus verte, les murs de la villa un peu plus ocres, son apparition rend tout un peu plus intense autour d’elle.

Camilla-LunelliCamilla (ci-contre) est la prêtresse de la communication du groupe Ferrari-Lunelli.

Elle est la fille de Mauro, le plus jeune des cinq fratelli Lunelli, longtemps œnologue en chef de Ferrari et auquel a depuis succédé son neveu Marcello, cousin de Camilla donc. Après des études en Sciences Eco à Milan, elle a été en poste chez BNP Paribas à Paris, à l’Unicef et chez Deloitte à New York, et a occupé des fonctions humanitaires pendant trois ans en Afrique, avant de prendre les RP du groupe familial en 2004.

 

Beaucoup à faire : relations avec la presse professionnelle, la presse économique et les autres media, organisation des événements comme le lancement de la Carapace, « la primera scultura al mundo in cui si vive e si creano grandi vini » (2), visites des chais et des propriétés, publicité, mécénat, sponsoring, management de la marque, etc. Et elle le fait avec autant de grâce et d’aisance que d’écoute et de discrétion. À travers elle on peut discerner l’esprit de corps Ferrari-Lunelli, on sent battre le cœur du groupe familial.

Elle nous fait faire le tour des salons et des pièces d’apparat ornées des fresques de la Villa Margon, puis nous emmène plus bas, à la Locanda Margon, le restaurant gastronomique créé par la famille au milieu des parcelles d’où sont issues les meilleures cuvées, qu’elle va maintenant nous convier à déguster.

Locanda Margon

UNE DÉGUSTATION CIVILISÉE

Ferrari TrentoNous commençons en apéritif par le Ferrari Maximum Brut, chardonnay 100% sans millésime, 12,5°. Pour garantir le taux optimum d’acidité, on n’a pas hésité à cueillir les raisins en avance sur le calendrier. Il a vieilli 36 mois en cuve.
— Jaune paille soutenu. Nez légèrement fruité et de légères notes de noisette et de pain grillé. Beau mariage gras-acidité. La pression carbonique assez basse en fait un vin facile. Créé en 1991. Réservé à la restauration.

Les effervescents Ferrari seront accompagnés de plats spécialement préparés par le chef Alfio Ghezzi (à droite), c’est ce que j’appellerais une dégustation civilisée.
La Locanda Margon, lieu de rendez-vous chic de Trente, utilisée comme vitrine par la famille Lunelli, est cernée de vignes plantées sur les coteaux environnants, sous les cimes qui les surplombent. La lumière est tamisée par des vérandas. Du jazz est diffusé en douceur dans chacune des salles. La brigade de Ghezzi qui compte sept personnes, nous propose des plats et desserts très raffinés avec un art consommé du « pairing » comme disent les Anglais, c’est-à-dire étudiés pour s’allier avec les vins.

scamone marizo cotto1. Perlé 2006. Chardonnay 100%. Production de 500 000 b résultant des récoltes de quelque 600 vignerons affiliés. 12,5°. Provient de vignes en pergola protégées par des filets. Vieillissement 5 ans sur lies. Comme pour les autres pétillants Ferrari, l’accent est mis sur la recherche d’une acidité durable.
— Jaune paille clair; nez d’amandes et de pommes juste cueillies; « fruité chardonnay » dont la générosité serait difficile à retrouver dans nos champagnes français. Dégusté avec un scamone marizo cotto rosa délicat . Re-créé en 1971, la tradition Perlé étant à l’origine des pétillants Ferrari (ancienne « réclame » à d.)

 

 

2. Perlé Rosé 2006. Pinot noir 80%, chardonnay 20%. Les peaux sont laissées en cuve pour une courte période de maturation. 12,5°. Vieillissement 5 ans. Comme pour les deux vins précédents, les raisins proviennent des vallées de Cembra et des lacs autour de Trente, plantés entre 300 et 700 m. Créé en 1993. La recherche de l’acidité est primordiale.
— Couleur rosée intense, presque foncée. Camilla évoque un nez de rose fanée (le « fané »
ne lui correspond pas), de fruits rouges et de cumin; bouche structurée, arômes harmonieux, bonne persistance. Avec un riso e bollicine (à gauche).
Peu de pétillants rosés ont autant de classe.

 

Giulio Ferrari3. Giulio Ferrari Riserva del Fundatore 2001. 100% chardonnay provenant du fameux
Vin Fratelli Lunelli Ferrari Giuliovignoble Maso Pianizza découvert par le fondateur Giulio, de  superficie réduite et assez secret (à droite). Vieilli 100 mois+ sur lies, en superbe forme après 10 ans de bouteille. Très fines bulles, notes de miel et de vanille. Blanc de Blancs culte, résultat d’un travail patient, minutieux et régulier, pari réussi de l’oncle Mauro : un grand spumante peut vieillir aussi bien qu’un grand vin tranquille. La cuvée 2002 est prévue fin 2012. « Pouvons-nous aller plus loin dans la finesse ?«  interroge Camilla, notant avec candeur les conflits commerce/œnologie.
Créé en 1972 « pour répondre à la demande ». Seulement 30 à 35 000 b/an, environ 80 €.

 

 

4. Ferrari Maximum Demi Sec. 100% chardonnay récolté en altitude, comme les autres pétillants (à l’exception du Giulio Ferrari Riserva précédent). Vieillissement de 36 mois. 12,5°. Créé en 2003.
— Expression typique du « mellow », parfait avec le dessert, un gratiné di frutti rossi doux et fondant. « Les Russes adorent, ils nous en commandent beaucoup » précise Camilla, ajoutant discrètement que Ferrari exporte ses spumanti dans plus de 50 pays.

« Versatilité, finesse, fraîcheur sont les trois principes conducteurs de ce pétillant demi-sec comme des autres vins effervescents Ferrari«  conclut élégamment Camilla Lunelli.

À SUIVRE, DERNIER VOLET, UN BILAN DU TRENTODOC

5. …Et après cette dégustation civilisée, une larme de Segnana, la grappa du groupe Ferrari-Lunelli.
Là encore on sent le travail d’excellence auquel se sont livrés les fratelli Lunelli pour anoblir cet alcool, somme toute rustique il y a encore une vingt cinq ans et qui atteint aujourd’hui la finesse des grands « digestifs » à commencer par le cognac ou l’armagnac.

Mais juste une larme, nous partons à Venise pour attraper un avion.

(1) Le Concile de Trente s’est évertué à renforcer le dogme catholique romain en établissant les bases de la contre réforme qui au lieu d’atteindre son objectif de rassemblement, va rendre inéluctable la séparation des Catholiques et des Protestants. Les positions du concile de Trente ont perduré 400 ans jusqu’au Concile Vatican II de 1962. Nous parlerons plus tard de la question de la transsubstantiation selon laquelle au moment de l’Eucharistie, le pain et le vin sont réellement le corps et le sang du Christ.
(2) « La première sculpture du monde où l’on vit et crée nos grands vins »