DANIEL J. BERGER
Ils l’ont fait ! La chaîne française du vin existe !
Enfin presque, obligée de diffuser du Luxembourg en raison de l’interdiction faite par le CSA d’émettre en France, motivée par celle de la loi Evin de toute publicité télévisée pour les boissons alcoolisées (*). L’ex-chaîne concurrente d’Edonys, Deovino, pourtant autorisée par le CSA suite à une édulcoration de ses programmes (pas de dégustations en direct, pas d’étiquettes à l’écran, etc.), avait été interdite par le Conseil d’Etat, qui a considéré qu’une chaîne dédiée au vin est « par nature » contraire à la loi.
Interview du rédacteur en chef d’Edonys, Jean-Michel Peyronnet, et du directeur de l’antenne, Julien Dumont.
Jean-Michel Peyronnet (à gauche), quelle a été votre rencontre avec le vin ?
J-MP — Via l’économie, en tant que rédacteur en chef de Revue Vinicole Internationale, sans plus le connaître que par la consommation à la maison, comme dans beaucoup de familles françaises on l’on boit du vin à table…
À Saint-Étienne où j’ai passé la première partie de ma vie, nous buvions des côtes roannaises, du Rhône et du Forez qui n’étaient pas encore les beaux vins qu’ils sont devenus; et la grand-mère nous fournissait en beaujolais… Je continue d’ailleurs à être correspondant de V&S News, lettre économique sur les vins et spiritueux.
Julien Dumont (à droite), vous êtes à la base du projet de la première télévision du vin ?JD — En effet, en 2009 je suis allé trouver Jean-Michel Peyronnet, je le connaissais, avec ce projet Edonys de chaîne de vin qui l’a motivé et, après un repas et un verre de bon vin… c’était parti ! Nous avons commencé début 2010. Pendant deux ans notre duo a beaucoup, beaucoup ramé pour arriver finalement le 15 décembre 2012 à émettre du Luxembourg qui n’a pas mis de barrages administratifs comme en France — Edonys est une SA de droit luxembourgeois —, et à diffuser sur SFR le 23 juillet 2013.
L’ingénieur de l’audiovisuel grand amateur de vin que je suis et le journaliste qu’est Jean-Michel s’entendent très bien, cela n’aurait pas pu être possible autrement.
Comment voyez-vous le rôle de rédacteur en chef à Edonys ?
J-MP — Plutôt comme celui d’un passeur s’adressant au grand public français et d’Europe francophone qui aime le vin sans forcément y connaître grand chose, que comme celui d’un connaisseur ou dégustateur patenté, que je ne suis d’ailleurs pas. C’est-à-dire raconter concrètement la viticulture, la production et l’environnement du vin. J’ai une approche affective : ce qui m’intéresse ce sont les vins bien sûr, des produits de bien-être et de joie, mais tout autant les vignobles et les vignerons, des personnages rarement ennuyeux ! Et de les interroger et les montrer en train de travailler, de chercher et de créer tout en navigant entre intempéries, contraintes administratives, difficultés de vente, et marketing, encore un peu nouveau pour eux qui ont longtemps cru qu’il suffisait de bien faire pour bien vendre.
Pourquoi « Edonys » ?
J-MP — En référence à l’hédonisme et aussi à Edonius, autre nom de Bacchus : le nom initial était « Bacchus TV ».
Comment voyez-vous le développement de la chaîne ?
JD — Programmation et diffusion sont opérées au Luxembourg à partir d’outils Broadcast et de serveurs adaptés (1), et notre équipe compte cinq personnes. Nos objectifs pour 2014 sont de consolider la diffusion en Europe francophone, d’investir dans un canal anglophone et de développer de nouvelles séries. Nous sommes reçus actuellement par environ 4.000.000 d’abonnés gratuits hors Dailymotion et l’objectif est de passer à 8.000.000 à court terme, notamment en accroissant le nombre de bouquets et en élargissant la diffusion en Suisse et en Belgique.
Le modèle économique de la chaîne repose sur la publicité, dont nous allons commercialiser les offres avant la fin de l’année. L’objectif de CA en 2014 est fixé à 2 M€ pour l’Europe francophone. Les investisseurs qui soutiennent Edonys sont des hommes d’affaires belges, suisses et anglais. Le conseil d’administration de Media Place Partners est présidé par Alain Gottesman, un Suisse résidant à Londres qui a tout de suite adoré l’idée et décidé de nous donner un coup de pouce en investissant dans le projet et en réunissant d’autres investisseurs.
Et quels sont vos objectifs en termes de production ?
JD — Si Edonys est avant tout un agrégateur de contenus, la chaîne a vocation à développer ses propres émissions en conservant la main sur les contenus, thématique vin oblige. Aujourd’hui, une partie significative des programmes est encore achetée mais nous comptons produire plus nous-mêmes au fur et à mesure, en nous appuyant sur des partenariats avec les interprofessions et organismes de promotion internationale pour développer des projets que nous ne pourrions pas faire seuls. Les partenariats avec les titres de la presse (2) et les événements vont se poursuivre sur plusieurs salons (3).
Comment avez-vous conçu votre grille ?
J-MP — Nous conjuguons reportages, documentaires, et talk-shows développés en propre comme Le Grand Débat, Tastez !, À la cave avec… , en attendant plusieurs nouvelles émissions en plateau. Il nous arrive d’utiliser des films réalisés par des groupements voire des vignerons, mais cela reste assez rare car ils sont généralement peu adaptés à une diffusion télévisée grand public et nous avons dû en refuser un certain nombre trop promotionnels.
L’une des caractéristiques de la chaîne est aussi de parler gastronomie et tourisme et de s’ouvrir à d’autres horizons culturels, le vin et les arts par exemple. Nous souhaitons aussi parler whisky, rhum, saké, baiju, bière et boissons moins connues des œnophiles avides de découvertes.
Edonys est un chaîne de plaisir qui se veut aussi une chaîne de service, aidant le public à bien acheter par exemple.
Pouvez-vous tirer un premier bilan ?
JD — Dans ce projet nous avons mis beaucoup d’énergie et fait preuve de beaucoup de détermination car tout a été fait pour nous empêcher d’émettre en France. Le CSA n’a pas hésité à nous traiter de « pirates » dans la presse, l’ancienne équipe de l’association Vin & Société qui pour mission de transmettre les valeurs du vin dans la société française, a longtemps préféré le projet concurrent, proche du ministère de la Santé, qui a finalement été annulé ! Plusieurs investisseurs potentiels ont baissé les bras devant les difficultés. Quant à la filière vin, ç’a été difficile de la convaincre, elle a mis beaucoup de temps à comprendre l’avantage d’une chaîne de télévision dédiée.
Si c’était à refaire ?
JD — Il nous est arrivé de nous demander si nous le referions… Pour être juste, nous avons aussi reçu énormément d’encouragements et de soutiens moraux de la part de vignerons à titre individuel, considérant que nous sommes les seuls à nous être battus ces dernières années pour défendre le vin. Maintenant, c’est à la filière vin européenne dans son ensemble de soutenir Edonys beaucoup plus largement.
J-MP — J’en profite pour dire que je suis abasourdi par la capacité des viticulteurs et de la filière vin, très profitable à l’économie française, à encaisser sans réagir les coups qui leur sont portés. Au nom de la vague prohibitionniste ambiante qui voudrait tout simplement faire disparaître le vin comme le tabac, il est question d’interdire les sites et blogs de vin au même titre que les sites nazis ou pédophiles ! Les responsables de l’ANPA** prennent en exemple le gouvernement chinois « qui a su faire taire les sites dissidents, » rappelant que la période où la France a compté le moins de dommages pour la santé publique liés à l’alcoolisme a été l’Occupation, « car le vin était confisqué par les Allemands. » Le temps de RÉAGIR est venu.
JD — Et nous diffusons ! Edonys est une belle chaîne linéaire (4) avec de bons programmes. L’intérêt de ce que nous faisons commence à être perçu. Malgré l’incroyable adversité, nous avons rempli l’ensemble des engagements pris et nous sommes bien au-delà des objectifs fixés. Au dernier trimestre 2013, nous avons établi un vrai plan d’évolution sur des bases réelles et concrètes… Le premier bilan, c’est maintenant ! Edonys, est parti pour longtemps.
Si vous ne recevez pas encore Edonys, la télévision internationale de la vigne et du vin, faites-vous connaître auprès de votre opérateur et remplissez le formulaire d’inscription
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* Il est interdit de montrer à la télévision des étiquettes de bouteilles de vin, de parler de « château », de mettre en scène des dégustations, de diffuser des publicités liées à l’alcool, chaque diffusion doit être accompagnée de mentions légales, etc.
** ANPAA — Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie. Redoutable association loi 1901, responsable de la formule « Le vin est cancérigène dès le premier verre ». 1380 salariés, 89 comités départementaux et 19 comités régionaux. Dotée par l’Etat d’un budget annuel de 50 M€. Porte plainte en permanence devant les tribunaux contre les publicités de vin et spiritueux et finit par gagner, souvent jusqu’en Cassation, les procès qu’elle intente.
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