DANIEL J. BERGER

Serpentant sur plus de 1 000 km de Roanne à Nantes, la Loire est bordée de vignobles dissemblables. Le couloir ligérien produit des vins dont la grande variété s’explique par les différences de géographie, de géologie et de climat, et autant par celles de la bonne vingtaine de cépages. Les plus traditionnels sont connus : en blanc le sauvignon, le chenin ou le melon; et en rouge le cabernet et d’autres comme le gamay sur les coteaux roannais et en Touraine.

Le courant « résurrectionnel » européen de réhabilitation de « petits » cépages, autochtones oubliés ou menacés, passe aussi par la Loire Valley.
Allons-y voir et goûter.

Depuis une décennie, de multiples initiatives d’associations ont pour objectif commun de réimplanter la vigne pour redonner vie à un « pays », c’est-à-dire d’en faire un outil de développement local, créateur de lien social et de mise en valeur du patrimoine, doublé d’une volonté de réhabiliter les cépages anciens. Cet état d’esprit se propage dans l’Europe viticole Italie en tête (500 cépages autochtones répertoriés contre 350 en France) et les associations qui mènent ce courant « résurrectionnel » tentent de s’organiser entre régions pour travailler ensemble sur un plan paneuropéen de réhabilitation puis de commercialisation de vins d’un type nouveau à partir d’anciens cépages.

1. Des cépages de Loire, le plus connu est le chenin blanc (ou pineau de la Loire* anciennement), emblématique de l’Anjou-Touraine, qui mûrit (tard) sur les coteaux du Layon, à Savennières, en Saumurois et à Vouvray, cépage indiscuté, qui s’étend un peu partout dans le monde.

Vigoureux, d’acide et à fortement acide si l’on ne contrôle pas son rendement, et de moelleux en Touraine et à liquoreux en Anjou, ce « ch’nin » comme disaient les anciens de l’Anjou, est un cépage tout terrain, qui sait s’adapter aussi bien dans l’hémisphère nord — Amérique du Nord (Canada, USA, Mexique), Europe bien sûr et Israël, Asie dont la Chine, que dans l’hémisphère sud — Australasie, Afrique du Sud où l’encépagement est le double de la France (tous vignobles Languedoc compris) et Amérique du sud.

Le plus ancien cépage ligérien serait le chenin noir ou pineau d’Aunis, qui produit des rosés typiques et des rouges légers, qu’on ne plante plus guère qu’en Anjou et Touraine, et dont le chenin blanc serait le dérivé.

Le sauvignon blanc est aussi un cépage de la Loire, plus récent, dont le Bordelais revendique l’origine, dominant en Touraine et seul admis pour les blancs de Pouilly-Fumé, Quincy, Menetou-Salon, Reuilly et bien sûr de Sancerre, lui conférant cette fameuse impression de « pierre à fusil et pipi de chat sur une buisson de groseilles à maquereau » !

Pur ou assemblé au sémillon de 15 à 40% parfois jusqu’à 50 %, le sauvignon des Graves et Pessac-Léognan continue de progresser, ainsi qu’en Sauternes en de leur difficulté à maintenir leur marché qui subit une lente désaffection, et dont les châteaux créent les uns après les autres un sec avec leur nom sur l’étiquette, le sec de Rieussec, de Rayne Vigneau, de La Tour Blanche, et bien d’autres.

Selon Michel Gendrier du Domaine des Huards en AOC Cheverny et Cour-Cheverny, l’atout du sauvignon est d’être reconnu comme le 8ème cépage mondial, planté dans une vingtaine de pays et perçu comme un marque, ainsi qu’en témoigne le succès du Concours Mondial du Sauvignon créé il y a peu par les fondateurs du Concours Mondial de Bruxelles. Gendrier estime que « producteurs, distributeurs et clients se tournent souvent par manque d’imagination, vers ce qu’ils connaissent, mais certains cépages autochtones présentent des qualités souvent plus intéressantes et qu’on peut valoriser. »

Ainsi, dans l’AOC Cheverny où Michel Quenioux du Domaine de Vielloux mise sur l’arbois (ou orbois, herbois, petit et/ou menu pineau, ou encore verdet; rien à voir avec le Jura) pour différencier sa production de celle des « sauvignonnés ». Cépage à petite grappe, l’arbois a été jusqu’à la fin du XXème siècle le plus planté dans le Loir-et-Cher qui inclut les appellations Cheverny, Cour-Cheverny, Montrichard, Oisly, Saint-Romain-sur-Cher, Valençay ainsi que l’AOC Touraine, les crémants de Loire et les vins de pays. De 1 000 ha alors, son encépagement est descendu en dix ans à 300 ha.

À Pouilly-sur-Loire, le chasselas (seulement en appellation Pouilly) qui ne couvre que 30 ha, soit 3 % de son vignoble contre 50% il y a encore un demi-siècle, a depuis longtemps perdu face au sauvignon (en appellation Pouilly Fumé). Sophie Guyollot, qui en cultive 60 ares sur les 30 ha de son domaine Landray-Guyollot à Pouilly, remarque que « le chasselas (en vinification et non en raisin de bouche, NDLR) est difficile à cultiver et inégal en rendement alors que le sauvignon est plus rémunérateur dans l’immédiat. Nous nous sentons un peu comme les derniers des Mohicans, avec l’Alsace et la Savoie, à continuer à le vinifier. »

Du côté de Blois, on replante le fié gris (ou sauvignon gris, rose ou rosé, ou surin du Poitou) dont les arômes sont considérés par certains dégustateurs comme plus fins, nets et tendus, subtils et élégants que ceux du sauvignon. Originaire du Bordelais pour les uns, du Poitou pour les autres, le fié gris a été très présent en val de Loire jusqu’à sa quasi disparition : on n’en recensait plus que 10 ha en 1958.

Selon Thierry Puzelat, vigneron bio aux Montils qui l’assemble dans ses Cheverny « il a été arraché après le phylloxéra pour laisser progressivement la place au sauvignon, plus productif. » La surface plantée ou replantée en France, encore modeste avec 660 ha (14.000 ha de sauvignon), a doublé entre 2008 et 2011 : « mais le fié, comme l’arbois, le pineau d’Aunis et les cépages endémiques en général se heurtent à une interdiction d’assemblage en Touraine, soi-disant au nom de la simplification de lecture de l’appellation pour le consommateur, alors qu’il s’agit en fait d’imposer le sauvignon. »

« La Touraine ne veut pas reconnaître le fié comme cépage qualitatif » regrette Xavier Frissant, qui produit résolument à Mosnes en lisière du Loir-et-Cher, des Touraine entièrement en fié, « alors qu’en Bourgogne il est accepté à 100 % dans l’AOC Sauvignon de Saint-Bris, et dont les pieds viennent de chez nous… »

Et dans le Giennois où les cépages sont le sauvignon qui produit des blancs aux notes minérales et fruitées, le pinot noir et le gamay, donnant des rouges rubis légers et peu tanniques, et où les rosés sont des assemblages de pinot noir et de gamay, les parcelles de sauvignon gris plantées avant 1998, date de l’attribution de l’AOC Coteaux-du-Giennois, vont bénéficier du droit à l’appellation  jusqu’à leur arrachage. Mais pourquoi donc vouloir l’arracher ? Je garde intact le souvenir acidulé, innocent et si tendre de celui d’Edouard Montigny du « Vignoble du chant d’oiseaux » à Mareau-aux-Prés près d’Orléans, encore dans ma mémoire 5 ans après l’avoir dégusté un matin de printemps.

Arnaud Daphy, co-fondateur de l’association Wine Mosaic qui milite pour la « vinodiversité », rappelle que chaque cépage connaît des fluctuations de surface et des évolutions dont la dynamique peut être « en voie d’ascension » comme pour le romorantin de Cour-Cheverny, ou « en voie de disparition » comme pour le chasselas — ce qui ne vaut que pour la France, le chasselas vinifié gardant son rang en Suisse.

À SUIVRE…

* ou encore pineau d’Anjou, de Savennières, de Briollay, de Vouvray, et pineau gros; et aussi plant de Brézé, verdurant, blanc d’Anjou, goût-fort, cou- ou coué-fort, confort, ou quefort en Nouvelle-Zélande; ou encore blanc d’Aunis, franc-blanc, franche (France), et steen (Afrique du sud). Liste de synonymes plus complète sur Wikipédia. Il semble que le nom « chenin » vienne de « Mont-Chenin », à l’époque où Denis Briçonnet, abbé de Cormery à Mont-Chenin, plante en 1445 de la vigne en Touraine avec son beau-frère Thomas Bohler, seigneur de Chenonceaux (selon Oz Clarke, Guide des cépages, p. 77, Gallimard, 2005).
Sources : e-Vitisphère, Jancis Robinson (Wine Grapes), Jacques Dupont (Le Point), Oz Clarke (Guide des cépages), Georges Dubœuf (Beaujolais, vin du citoyen), Wikipédia.