DANIEL J. BERGER

On trouve le long de la Loire bordée de vignobles dissemblables de Roanne à Nantes, des vins dont la grande variété s’explique par les différences géographiques, géologiques et de climat, et autant par la vingtaine de cépages différents eux aussi, dont les plus connus en blanc sont le chenin, les différents sauvignons, et en rouge le cabernet franc et les gamays.

Après les variétés proprement ligériennes, scrutons celles originaires de Bourgogne — les francs de pied de Sologne (non greffés) ou les différents gamays, en rouge; ou en blanc le romorantin et les « disparues » comme le rayon d’or, le meslier, l’épinette blanche.

2. Des cépages ligériens venus de Bourgogne, le pinot noir (plant fin, noirien dans le Jura et en Bourgogne, ou bourguignon en Auvergne) est le cépage des vins rouges et rosés circonscrits à l’appellation Sancerre, qui connaît une progression en centre-Loire.

Non loin, à Irancy, dans la zone de Chablis, le pinot noir est assemblé à 10% de césar, cépage apporté dit-on dans l’Yonne par les légions romaines de l’empereur du même nom, qui auraient fait profiter les indigènes de leur savoir faire viticole; le césar reste aujourd’hui confidentiel (2 ha !), mais il est pour une bonne part dans le caractère de l’Irancy, comme en témoigne les crus du Domaine Colinot par exemple.

Par la passé, lorsque l’Orléanais fournissait la cour du royaume de France, l’auvernat, un cépage de blanc venu d’Auvergne, était récolté entre Saint-Denis-en-Val, La Chapelle St-Mesmin et Saint-Aÿ (prononcer sainti). Celui de Gauthier-Soreau à Baule, décédé et son vignoble disparu, était encore récolté dans les années 70. Cet auvernat, le vignoble orléanais l’avait produit en quantité, tout comme le gentin (ou gennetin) à Saint-Mesmin, Marigny et Rebréchien, un ancêtre du sauvignon blanc. Ainsi que d’autres cépages blancs comme le rayon d’or récolté dans le Loiret et le Loir-et-Cher, le meslier et l’épinette blanche (ou cerceau). Ils ont disparu aussi et semblent ne pas attirer les vignerons « résurrectionnels » en raison de leur instabilité végétale et du goût assez neutre des jus.

Quant au melon de Bourgogne (1), oublié dans sa région natale où on ne l’appelle plus que muscadet, adapté au pays nantais au détriment du cépage autochtone, le gros plant (ou folle blanche), un vin au faible taux d’alcool, en baisse d’influence. Pourtant, grâce à son acidité souvent agressive comparée au muscadet lui-même, le gros plant pourrait reprendre vie dans des régions plus chaudes comme la Californie où les vins ont tendance à manquer d’acidité.

On n’oubliera pas le grolleau (ou groslot, gamay de Châtillon à Savennières, ou encore pineau de Saumur) qui n’a « que » 200 ans (apparu en 1810) et descendrait du gouais ‘lun des plus anciens cépage d’Occident aujourd’hui disparu (avant de disparaître, il avait donné naissance aux aligoté, chardonnay, gamay ou melon entre autres !) (2). On cultive couramment les variétés grolleau gris et grolleau blanc (vin rosé). Inconnu hors de l’Hexagone et précisément de la Loire, il fait partie de l’encépagement des AOC Touraine-Azay-Le Rideau, Rosé de Loire et Rosé d’Anjou, Crémant de Loire, Anjou mousseux, Saumur mousseux, Coteaux du Loir. Il donne des vins légers et fruités et est souvent assemblé au cabernet franc dont il assouplit l’astringence tannique.

Enfin, le chardonnay s’invite de plus en plus fréquemment en Touraine et en Anjou, et entre pour beaucoup dans l’élaboration des crémants de Loire : dans son cas il ne s’agit plus de réhabilitation mais bien d’expansion.

Signalons au passage quelques vignerons-artistes ligériens du cépage autochtone comme le taciturne Claude Courtois (« Cailloux du paradis » à Soings-en-Sologne) dont la panoplie comprend sans différenciation cépages dominants et anciens francs de pied (non greffés); Jean-Marie et Thierry Puzelat (« Clos Tue Boeuf », Touraine); Pascal Potaire (« Les Capriades ») qui en s’exonérant des règlements d’encépagement en vigueur produit de ce fait des vins sans appellation, des « vin de table français » du Loir-et-Cher; Émile Heredia (« Montrieux », côteaux du Vendômois en pineau d’Aunis); Pascal Simonutti (« La Galetière ») avec son fameux « Boire tue », 60% gamay et 40% pineau d’Aunis (vignes de 30 à 80 ans) en AOC Touraine-Mesland; Hervé Villemade (« Domaine du moulin » à Cheverny); ou encore Reynald Héaulé, disciple de Claude Courtois, qui à Cléry St-André produit luis aussi des vins hors AOC dont un blanc, Éclat de silice — 1/3 sauvignon, 1/3 chardonnay, 1/3 menu pineau (ou arbois); et des rouges dont il ne divulgue ni les cépages ni les proportions assemblées.

Le cas du gamay — nommé petit gamay dans certains crus et synonyme de vin « fin », gamay rond ou bourguignon noir, le gamay noir à jus blanc a une aire de production en France principalement en Beaujolais et sud Bourgogne, et dans le val de Loire, en Auvergne et dans le Sud-Ouest. Le gamay serait un hybride du pinot noir provenant du côté de Puligny-Montrachet en Bourgogne, ou plus probablement de Dalmatie, apporté au IIIème siècle dans le paquetage des Légionnaires du général Probus, empereur de Rome de 276 à 282 qui a libéré les Gaulois des anciennes restrictions de plantation de vignes. Précoce et plus facile à mener que le pinot noir et surtout plus productif, le gamay lui est ajouté pour 2/3 dans le Passetoutgrain « tantôt bourgogne gouleyant, tantôt beaujolais joufflu » selon le célèbre Georges Dubœuf, « Monsieur Beaujolais ».

Cépage devenu un peu méprisé en Bourgogne au XIXème, le gamay s’est introduit en Touraine après la crise du phylloxéra. Plusieurs variétés : le gamay fréaux; le gamay de Chaudenay qui, croisé avec un cépage teinturier, donne des jus d’un rouge profond bien distinct du translucide gamay du Beaujolais; ainsi que les gamay de castille, mourot et de Bouze.

Au Domaine de la Charmoise à Soings-en-Sologne, Henry Marionnet s’est fait une spécialité du gamay de Bouze dont il cultive 1,5 ha. Il vinifie les grappes entières sans éraflage et les presse après six jours de fermentation. Fruité, épicé, tonique, il tient dix ans en cave sans problème. 8 000 bouteilles sont distribuées annuellement chez les cavistes et dans les brasseries parisiennes.

À Saint-Pourçain, le gamay donne du rosé. Mais surtout, en raison de son fruité, l’ajout au pinot noir en est autorisé pour améliorer la finesse et la longueur des rouges de cet AOC.

À SUIVRE…

(1) rien à voir avec le melon d’Arbois appelé aussi gamay blanc dans le Jura, en fait du chardonnay, qui participe pour 75% à l’encépagement en blanc du vignoble jurassien.
(2) Gouais (ou gau, goe, goet, gohet, got, gouai, gouais, gouche, goué, gouest, gouet ou perlé gouais) l’un des cépages occidentaux les plus anciens puisqu’introduit par les Huns*. Il est connu sous de multiples autres noms : blanc de Serres, boarde, bouillan, bouilleaud, bouillenc, coix, colle, enfariné blanc, figuier, foirard blanc, gouillaud, gouge, gouget blanc, gros blanc, gueuche blanc, gwäss, heunisch, issol, lombard blanc, mendic, moreau blanc, nargouet, pendrillart blanc, plant de Saint-Rémy, plant de Séchex, roussaou, roux.
Le gouais a disparu, à l’exception unique du haut Valais suisse, région où il est appelé gwäss (ou gwaëss).
Sa disparition n’a pas entraîné celle de tous les cépages qui en sont originaires par croisement naturel, comme par exemple avec le pinot noir tels que : aligoté, aubin vert, auxerrois, bachet noir, beaunoir, chardonnay, dameron, franc noir de Haute-Saône, gamay, gamay blanc Gloriod, knipperlé, melon, peurion, romorantin, roublot ou sacy, constituant la famille des Noiriens.
* Dans les pays germaniques on faisait une distinction le vinum francorum (vin des Francs), le bon vin, et le vinum hunicum (vin des Huns), plus rustique et vendu à bas prix. Le courant de résurrection des cépages anciens remontera-t-il à celle du vinum francorum et pourquoi pas du vinum hunicum ?
Sources : e-Vitisphère, Jancis Robinson (Wine Grapes), Jacques Dupont (Le Point), Oz Clarke (Guide des cépages), Georges Dubœuf (Beaujolais, vin du citoyen), Wikipédia.