SALLY DEVIN
Meilleur score de popularité à Musica Vini en 2013, Daniel Humair revient
à la 2ème édition le 30 août aux Ateliers de Bellebranche à Saint- Brice avec un nouveau trio, Vincent Lê Quang (saxophones) et Stéphane Kerecki (contrebasse). Batteur de jazz ultra célèbre et professeur au Conservatoire, peintre coté (*) — il a commencé la peinture à 14 ans en même temps que la batterie —, Daniel Humair (ci-contre entre ses toiles et sa cymbale coupée) est également un œnophile candide mais averti.
Entretien apéro.
Votre première découverte du vin ?
Dans ma famille à Genève, on n’en buvait pratiquement pas, et le vin suisse était beaucoup moins bon qu’aujourd’hui. Je n’ai découvert le vin qu’à la quarantaine, lorsque je me suis intéressé à la cuisine contemporaine au contact de Guy Savoy et la mise en parallèle avec le vin m’est apparue évidente : un plat, un vin ! D’ailleurs, je n’en bois pratiquement pas en dehors des repas, pas plus que d’alcool genre cognac ou whisky.
Vos sensations à la dégustation ?
Elles sont de deux sortes : celles que procurent les vins au goût très complet, qui se suffisent à eux-mêmes, comme les grands liquoreux des coteaux du Layon ou de Sauternes. Et celles qu’apporte la rencontre avec un plat, la découverte, l’échange de saveurs, la conjugaison, c’est infini.
Le vin vous inspire-t-il en peinture ?
Le vin ne m’inspire pas en peinture, et je ne peins pas le vin. Même si le vin est présent sur l’affiche de Musica Vini 2014, cherchez bien ! (ci-contre).
Et en musique ?
Pour un orchestre, le vin peut créer une situation particulière, on ressent un univers sous-jacent, c’est ce qui se passe à Musica Vini, ça frétille. Mais on ne joue pas un vin, les musiciens devinent le vigneron au travers de ce qu’ils dégustent, essayent d’être en connivence, de former un tout, d’augmenter le plaisir de jouer ensemble.
Vigneron et musicien, même combat ?
Ce sont deux métiers soumis à des circonstances particulières, l’incertitude des intempéries pour le vigneron et celle du public et de l’ambiance sonore pour le musicien. Nous dépendons de tellement de choses, on ne sait jamais comment ça va finir. Et nous avons cette même aspiration au beau et au bon. Même si nous avons des règles respectives très précises, nous avons la même démarche de création.
Le vin a un timbre et la musique des arômes ?
Pas au premier degré : quand on verse le vin, on a une « vision sonore, » on voit dans le verre une matière équivalente à une texture d’instrumen-
tiste. Quant aux arômes musicaux, il y en a, oui, c’est une question d’atmosphère.
Le vin qui traduit le mieux l’esprit du jazz ?
Il y a des vins qui swinguent et d’autres qui ne swinguent pas. Du côté de ceux qui swinguent, je mettrais le vin de Bigorre d’Alain Brumont, Château Montus; ceux d’André Ostertag à Epfig en Alsace, ses vins de fruit, de pierre, de temps; ou le Château Palmer de Thomas Duroux, à Margaux (**). Peut-être d’ailleurs parce que le jazz est proche d’eux trois, ils en écoutent tout le temps, le font aimer, vont au concert. Ils ont un sens artistique de grande envergure qui en fait des artistes: quand je suis avec eux, j’ai l’impression d’être dans le même orchestre.
Quand vous dégustez, êtes-vous analytique ou avez-vous une perception d’ensemble ?
J’autopsie moins que je ne recherche une impression générale. Le vocabulaire de la dégustation mène à une recherche de définition souvent déconcertante, et je tiens à rester un candide tout à la découverte, à l’étonnement, au plaisir.
Vos bouteilles d’anthologie ?
Un Château Rieussec 1950, un Gevrey Chambertin 1929 découvert avec Guy Savoy, on avait l’impression qu’il avait deux-trois ans. Et un Chocolate Block 2005 d’Afrique du Sud.
Entretien Sally Devin par téléphone le 3 juillet 2014