Cinquième d’une série de dix articles sur un voyage organisé par les syndicats des appellations Graves et Pessac-Léognan pendant les vendanges 2014.
Chaque article fait référence à un écrivain.
N°5. CHANTE LA GRIVE !
Inspiré par Marcel Proust (Un amour de Swann).
Itération depuis le château Le Sartre jusqu’à Podensac
Les sangliers avaient saccagé dans la nuit la pelouse devant le charmant château Le Sartre, édifié au XIXème siècle et dont le vignoble avait été relancé par Monsieur Tony Perrin dans la période postérieure à son arrivée
à Château Carbonnieux, devenu en 2005 la propriété de sa sœur, Madame Marie-José Leriche (à gauche), à la suite du partage des biens de cette famille venue d’Algérie en 1962. Et donc Monsieur René Leriche son mari (à droite) ne cessait de s’étonner que les cochons sauvages en venant chercher le frais de l’herbe aient pu causer autant de ravages avec leur hure et sans faire le moindre bruit qui eût pu éveiller son épouse ou lui-même. Ce n’était pas son seul sujet d’étonnement de la journée depuis que son voisin
lui avait téléphoné plus tôt de Paris pour l’informer que les aménagements qu’il effectuait dans l’appartement que M. Leriche lui louait au-dessus du sien prenaient un tour funeste puisque le locataire avait percé son plafond en voulant remplacer le parquet, ce qui mettait M. Leriche dans un état de consternation qui ne l’empêchait pas de s’exprimer avec l’humour dont il a l’agréable habitude et qui met son entourage à l’aise et le rend enchanté de sa compagnie, laissant chaque fois liberté de la répartie à son épouse, en souriant toujours, car il est impen- sable qu’un gentilhomme du vignoble bordelais se départisse de sa courtoisie dans les moments délicats. Sur le mur droit en entrant dans le salon du château Le Sartre (ci- contre) se trouve un petit tableau remémorant l’Algérie ou est née Marie-José Leriche née Perrin, la peinture intrigante (à dr.) d’une femme indigène un peu alanguie, la poitrine offerte, dont la tête est couverte d’un voile léger de couleur jade et le haut du corps ceint d’étoffes faisant ressortir sa chair brune, attirante de vie, indication que le souvenir de leur Algérie reste présent dans la famille comme l’attestent aussi une photographie et un tableau de la propriété viticole ancestrale de Tirenat-les-Pins près de Sidi Bel Abbès, accrochés par M. Tony Perrin dans son bureau du château Carbonnieux et qui y auront toujours leur place assurent ses fils qui l’occupent depuis son décès. Le travail accompli sur le domaine viticole du château Le Sartre d’une superficie de trente six hectares, situé entre les châteaux Malartic-Lagravière, Fieuzal et le domaine de Chevalier et longé par la forêt, qui a été entrepris avec courage et intelligence par Marie-José grandement aidée par son mari René, porte ses fruits depuis que M. Tony Perrin avait reconstitué cette propriété en dépérissement, dont les parcelles avaient été démembrées et les vignes arrachées après la dernière guerre, car elle s’est sagement adjoint les compétences d’un œnologue habile appelé M. Château, qui a l’expérience de la Bourgogne et dont la gouverne du vignoble veut exprimer l’identité du terroir et la qualité des raisins qu’il produit en sachant tirer le meilleur parti des aléas climatiques et végé-
tatifs. Ses propos sont en exergue d’une brochure qui a l’apparence de la collection de la NRF, en raison du nom du château rappelant celui de l’écrivain probablement le plus célèbre de la fin du siècle dernier, donnant le détail des vins, blancs et rouges comme dans le reste de l’appellation, la seule à avoir des Crus Classés dans les deux couleurs, en expliquant que l’assemblage du vin rouge se fait à partir de soixante pour cent de cépage cabernet-sauvignon et de quarante pour cent de cépage merlot, proportion exprimant avec élégance la complexité et la richesse des terroirs de Léognan, dont il est produit soixante dix mille bouteilles par an sans compter le second vin dénommé S, couleur rouge sombre; tandis que le vin blanc assemblé de sauvignon blanc à quatre vingt dix pour cent et de sémillon à dix pour cent, possède un style aromatique et expressif alliant fraîcheur et équilibre entre la vivacité et le gras et dont l’aptitude au vieillissement est remarquable, produit quarante mille bouteilles auxquelles il faut aussi ajouter celles du S, couleur paille. L’étiquette de style art déco se distingue de la plupart des étiquettes bordelaises classiques souvent soucieuses de ne pas rompre de manière soudaine avec l’image du passé, ce qui serait considéré comme inconvenant ou même rustre.
M. Leriche fait partie de cette catégorie d’hommes intelligents et sensés qui conduisent doucement leur voiture, la sienne de marque Mercedes dont il aime dire qu’elle est « vintage » tant elle a roulé, à laquelle il demeure attaché pour sa mécanique sans défaut et parce que les voyages qu’il a faits au volant lui fournissent des anecdotes romanesques dont le récit sait égayer ses passagers. Il nous fait passer par des routes larges selon un itinéraire confortable mais un peu allongé puisque nous ne sommes arrivés à Chantegrive qu’à la nuit tombante, derniers des invités de la brillante phalange des propriétaires de Graves — dont M. Arnaud de Butler propriétaire de Château Crabitey, neveu de M. Patrick de Butler et de son épouse Marie-Claude née de Sars qui résident une partie de l’année au hameau médiéval de Bellebranche à Saint-Brice en Mayenne où, renouant fortuitement avec une tradition datant du XVIIIème siècle, se déroule Musica Vini, série d’intermèdes conjuguant musique et dégustations de vin, et qui en ignorait l’existence –, sans qu’aucunement notre hôte Madame Marie-Hélène Lévêque qui dirige le domaine avec son frère François et leur énergique fratrie, ne songe aucunement à nous en faire la remarque, nous invitant plutôt à marcher quelques pas pour aller visiter le chai à barriques de Chantegrive construit en 1987 pour l’élevage des vins rouges, d’une capacité de six cent unités (ci-dessous).
DANIEL J. BERGER
À SUIVRE : UN DÎNER À CHÂTEAU CHANTEGRIVE