Deuxième partie du cinquième d’une série de dix articles sur un voyage organisé par les syndicats des appellations Graves et Pessac-Léognan pendant les vendanges 2014.
Chaque article fait référence à un écrivain.
N°5bis. UN DÎNER AU CHÂTEAU CHANTEGRIVE
Inspiré par Marcel Proust (Un amour de Swann)
Une fois à table, où ont pris place autour des bloggers invités M. et Mme Leriche, M. Arnaud de Butler et plusieurs autres de la brillante phalange des propriétaires de vignobles des Graves dont Madame Lévêque mère, sa fille Marie-Hélène narre l’histoire de Château de Chantegrive.
Créé en 1966 par son père Henri à partir de la villégiature qu’il avait fait construire, ensuite élargie de deux hectares achetés en vendant sa très belle collection de timbres, lui qui s’était passionné pour les terres de graves et les vins qu’elles produisent, heurté de voir que certaines étaient devenues terrains à bâtir à une époque où la viticulture ne nourrissait pas son homme, installé à Podensac comme courtier, lui-même fils et petit-fils de courtier comme le sont aujourd’hui son fils François et sa petite-fille Caroline, une lignée du vin encore, il fut pris de l’envie d’y créer son propre vignoble et investissant ses gains pour agrandir le domaine parcelle après parcelle sur les terrasses graveleuses de la Garonne à Podensac, Virelade, Illats et Cérons, et il a constitué en moins de trente ans un domaine de près de cent hectares qui n’avait pas d’existence avant lui, que M. Henri Lévêque a nommé Chantegrive parce qu’il était chasseur et tirait ici les grives le soir à la passée en compagnie des frères Lillet, des habitués de Podensac comme lui et ses cinq enfants qui ont toujours vu leurs parents acheter du terrain pour y planter des vignes et investir les bénéfices dans la propriété, Marie-Hélène se plaisant à dire que ses parents faisaient de l’argent avec le vin et non du vin avec de l’argent. Cette femme pétillante (ci-contre), aînée de la famille, d’abord infirmière, sympathique au premier abord qui vous fait vous demander comment vous ne la connaissiez pas déjà, simple et directe, pour qui la vertu première est la franchise et les qualités féminines l’autonomie, l’honnêteté et la douceur, mène avec une autorité enthousiaste le convivium familial de Chantegrive (ci-dessous ) où chacun a sa place et son rôle, et se montre très convaincante quand il s’agit de présenter ses vins, comme ceux servis à ce dîner — un magnum de blanc 2012 Cuvée Caroline du nom de sa nièce œnologue, âgée de vingt-cinq ans, sur des coquilles Saint Jacques et des langoustines, le rouge 2009 sur un carré d’agneau à la croûte de noix, des tomates et du risotto au parmesan, le rouge 2005 avec les fromages; et aussi ceux des propriétaires — Magence 2010, Le Sartre 2009, Carbonnieux 2011 en blanc; Magence 2008, Crabitey 2005, Le Sartre 2004 en rouge, auxquels s’ajoutaient ceux de Chantegrive 2000 et 1999. Cette conviction lui est indispensable pour vendre chaque année trois cent cinquante mille bouteilles de vin rouge et plus de deux cent dix mille de vin blanc dont cette cuvée Caroline (soixante douze mille unités), en travaillant avec une quarantaine de négociants de la place de Bordeaux tout en réalisant cinquante pour cent du chiffre d’affaires avec la société de négoce de son beau-frère Frédéric de Luze marié à sa soeur Agnès, LD Vins, qui a l’exclusivité de la grande distribution en France, où les clients savent pouvoir y trouver du Chantegrive sans rupture d’approvisionnement et à prix abordable car sans offre réellement concurrente; tandis qu’à l’exportation, environ 40 % de la production, Marie-Hélène Lévêque dont l’occupation favorite à part lire et se promener dans ses vignes est de voyager, suit de près les négociants qu’elle a choisis en fonction de leur spécialité et leur implantation notamment en Amérique, au Japon, et en Chine où le vin est appelé Chante la grive sur la branche dans la fraîcheur du matin, en cherchant à s’en faire des partenaires, pour autant si ce sont des hommes qu’ils soient honnêtes, aient l’intelligence du cœur et pratiquent le respect d’autrui, toutes qualités masculines que Marie-Hélène Lévêque juge indispensables dans la vie comme dans le commerce.
On a coutume de dire que dans les Graves les variétés de plants de vigne ont un rôle moins important que les terres sur lesquelles ils poussent, plus précisément que les cépages dépendent plus qu’ailleurs des sols, les graves argileuses ou argilo-calcaires transmettant une complexité d’expression distincte à un sauvignon et à un sémillon assemblés dans le blanc, pourtant cultivés sur un terroir identique. Sur un sol de calcaire, le sauvignon dégage une dominante de buis fascinant le nez, à laquelle peuvent s’ajouter des arômes de fruit de la passion et d’agrumes, et le sémillon, d’abricot et de mangue; alors que bien différemment, sur des graves sèches et profondes, le sauvignon se montre moins expressif et le sémillon semble minéral et fumé. Et les graves pures de l’appellation Pessac-Léognan située elle plus au nord se montrent plus adaptées au cabernet-sauvignon et au merlot assemblés dans le vin rouge.
Chantegrive étant planté pour une moitié de sauvignon et de sémillon, et pour l’autre moitié de cabernet-sauvignon et de merlot, la famille Lévêque a recherché le concours de l’un des œnologues de Bordeaux les plus compétents, très jalousé ces temps-ci, Monsieur Hubert de Boüard de Laforest, co-propriétaire de Château Angélus à Saint-Émilion, pour la conseiller sur la manière de différencier l’expression des cépages selon les terroirs du domaine qui compte de nombreuses parcelles; et ainsi, progressivement, l’homogénéité, le profil aromatique, la qualité générale des vins se sont améliorés jusqu’à faire de Chantegrive l’un des plus grands blancs de Graves et Pessac-Léognan dont la notoriété est maintenant reconnue dans le monde entier comme l’un des tout premiers vins blancs de Bordeaux.
DÉGUSTATION du 12.12.14 au restaurant Mandarin Oriental
Chantegrive Graves blanc 2011 et 2012 en apéritif :
le 2012 est ample, souple et peut évoluer en gardant à la fois sa carrure et sa fraîcheur si séduisante.
Le 2011 a un plus de matière, bien équilibré, plus marqué sauvignon, des notes iodées, qui lui aussi évoluera bien, en gardant espérons-le sa finale complexe.
11-12 € : à saisir.
Chantegrive cuvée Caroline 2007 sur un tartare de bar : jaune limpide; attaque minérale au nez présente mais sans agressivité; en bouche, complexité aromatique et fruit exotique (ananas, mangue), sensualité et douceur (miel); fraîcheur encore remarquable. Plus qu’un sans défaut c’est une vraie réussite. Marie-Hélène Lévêque : merci… les grands blancs sont difficiles à faire ! Celui-ci durera encore plusieurs années. Entre 12 et 15 € en GD si on le trouve encore.
Chantegrive Graves rouge 2012, 2011, 2008, 2005 sur des grives au foie gras : débat sur la différence entre le 2008 qu’Hélène préfère en ce moment, très beau graves, et le 2005 que je préfère, un millésime d’exception dont la maturité lente continuera d’évoluer encore dix ans au moins. Belle profondeur, fraîcheur intacte. Grand bonheur. Aux environs de 20 €. Les 2011 et 2012 sont impeccables avec un penchant pour le 2011 environ 15 €.
Chantegrive cuvée Caroline 2013 sur des fromages de chèvre : robe jaune pâle; nez de fleurs blanches; bouche ample et riche, notes de pamplemousse, toujours cette fraîcheur Chantegrive qui nous attache, belle finale acidulée et persistante. Déjà à boire (12,80 € rapport Q/P top).
DANIEL J. BERGER
À SUIVRE : LES CARMES INTRAMUROS