SALLY DEVIN
Les résultats de l’édition 2015 de Musica Vini qui s’est déroulée il y a un mois jour pour jour en Mayenne, sur le site de l’ancienne abbaye de Bellebranche à Saint-Brice, sont encourageants pour les organisateurs.
Le thème de cette année, Musique et vin, l’esprit des femmes, est pour beaucoup dans la réussite de la manifestation, reconduite pour la 3ème année.
L’originalité du festival Musica Vini consiste à allier musique et vin en conviant des musiciens à jouer après dégustation d’un cru présenté par son vigneron, que le public déguste simultanément.
Le samedi 12 septembre dernier, l’édition 2015 réunissait vigneronnes et orchestres féminins pour un concert- dégustation en trois parties : 3 vins et 3 styles musicaux, jazz, baroque et pop-rock, pour 3 sets d’environ 40 minutes dans l’ancienne grange du hameau de Bellebranche, au sud de la Mayenne près de Sablé-sur-Sarthe.
On déguste, on écoute, on ferme les yeux et on part en trip dans l’univers des sensations et des émotions.
Musica Vini 2015 avait pour objet initial de découvrir comment les femmes pensent, font et disent leur vin.
Le profil des vigneronnes qui intervenaient était différent : par ordre d’apparition, Marie Thibault-Cabrit exploitante de trois hectares en Touraine, à Lignières près de Langeais, présentait un rosé nature pétillant. Sandra Donolato, ambassadrice du grand vignoble (100 ha) de la famille Lévêque dans les Graves de Bordeaux, Château Chantegrive. Et Marie-Lyne Lottin qui commercialise Château Bas dans les Bouches du Rhône, au sud de l’appellation coteaux d’Aix.
Il en allait de même pour le profil des musiciennes : Sophie Alour, saxophoniste et compositrice de jazz de la région parisienne, leader et productrice de ses albums (Shaker, Le Géographie des rêves, Insulaire,…). Magali Rougeron-Mingam, claveciniste, professeur dans plusieurs conservatoires de la Sarthe, chef d’orchestre du quatuor baroque La Pelegrina. Et Alejandra Ribera chanteuse venue du Canada lancer son CD La Boca (Jazz Village – Harmonia Mundi) en Europe : sa tournée passait par Musica Vini.
Elles étaient respectivement présentées et questionnées par la sommelière italienne Vinny Mazzara, qui a fait volontairement preuve de retenue dans l’attribution d’un genre ou de traits féminins aux vins et à leur vigneronne, comme aux musiciennes.
La manifestation était animée par Claudine Le Tourneur d’Ison, maîtresse de cérémonie, et la prise de son assurée par Patricio Cadena Pérez.
Au premier concert-dégustation, le rosé effervescent naturel 2014 de Marie Thibault-
Cabrit (à droite) inspirait le quartette de la saxophoniste Sophie Alour (à gauche), accompagnée de la batteuse Julie Saury (elle aime mieux batteure, comme auteure) provoquant un frétillement en bouche loin de la booze qui cogne, volontiers associée aux sets de jazz en club, où d’ailleurs l’on ne boit plus guère.
Deux jazzwomen lancées à leurs débuts par l’organiste américaine installée en France Rhoda Scott, qui préparent ensemble un nouvel album avec elle. Le guitariste Hugo Lippi pratiquant les block chords à la Wes Montgomery, et l’organiste Matthieu Marthouret complétaient la formation, qui a interprété des titres originaux inspirés du jazz funky des années 60 — Joke, I Wanna Move My Body! co-écrit avec Julie Saury, un My Favorite Things joué Rhythm ‘N Blues, donnant l’envie de danser, on aurait pu, le public en redemandait et il faisait beau. Et pour finir une jolie balade en duo saxophone-guitare, Stars Fell On Alabama. Le ton était donné, l’exercice pouvait continuer.
Au 2ème set, le graves blanc 2012 de Chantegrive présenté par Sandra Donolato (à gauche) accompagnait les sonates de Dietrich Buxtehude (1637- 1707, plus connu pour ses pièces pour orgue), interprétées par l’ensemble La Pelegrina, dont la vocation est d’exhumer des pièces baroques oubliées.
Pour la claveciniste et chef d’orchestre de ce quatuor, Magali Rougeron-Mingam (ci-dessus à droite), qui avait dégusté le vin une première fois en août et à nouveau le matin même avec les musiciens durant la répétition (tandis que l’équipe de Chantegrive s’était familiarisée avec la musique baroque via le CD de La Pelegrina), le style du graves et celui de Buxtehude s’associent, « il y a cette similitude de facile et de léger apparents, et aussi de complexité sous-jacente : sous un abord italien (brillant) et français (la danse) se cache une écriture plus complexe, de tradition germanique, avec un contrepoint bien développé » rappelant tout à fait la vibrance minérale de l’assemblage sauvignon-sémillon. De Dietrich Buxtehude, l’ensemble La Pelegrina — Olivier Mingam (violon), Eleanor Lewis-Cloué (viole de gambe), Fulvio Garlaschi (théorbe) —, a interprété les sonates III et IV opus 2 pour clavecin, violon, viole de gambe et basse continue, entrecoupées de l’Allemande et de la Gigue en do majeur pour clavecin seul.
3ème set : c’est dans le rouge fruité et direct cuvée « Héol » 2012 de Château Bas présenté par Marie-Lyne Lottin (gauche), que venaient se fondre les chansons sorties du fond de l’âme d’Alejandra Ribera (droite). Avec Oliver Smith à la contrebasse et Sébastien Hoog à la guitare, elle a chanté en espagnol (No Me Sigas, Cien Lunas), français (Un cygne la nuit) et anglais (I Want, Goodnight Persephone, Led Me To You), le répertoire de son CD La Boca déjà paru au Canada. Sa douceur apparente cache une voix chaude hurlant la souffrance contenue dans ses ballads nostalgiques.
Canadienne née d’un père argentin et d’une mère écossaise, ses racines sont multiples — la chanteuse mexicaine-américaine Lhasa côtoyée à Montréal († 2010), les déjantés des années 70, Tom Waits, Ricky Lee Jones ou Joni Mitchell, et Joan Baez la pionnière. « Chanteuse aux pieds nus dansant sur des braises, » le corps habité d’une tension intérieure brûlante, s’exprimant d’une voix dramatique au bord des larmes, elle a tiré celles du public, qui l’a rappelée à deux reprises. Alejandra a « adoré » ce rouge des coteaux d’Aix-en-Provence « chaud, chocolaté, épicé« , confessant avoir écrit la plupart de ses chansons en buvant du vin « rouge, toujours… »
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Un certain nombre des 200 participants, dont les deux tiers venaient pour la première fois, ont répondu à une enquête de satisfaction menée comme chaque année à la sortie des concerts-dégustations. Il en ressort une impression partagée de fluidité des alliances gustatives et auditives (« l’alchimie du vin et de la musique produit de la plénitude« ), et de l’organisation qui offrait la possibilité d’acheter les vins et les CDs (« c’est bien de pouvoir discuter avec les vigneronnes et les artistes.« ) Une spectatrice enthousiaste a déclaré se sentir chez soi au milieu du cadre bucolique de Bellebranche, ajoutant : « grâce au mélange des vins et des différentes interprétations toutes excellentes, ç’a été un moment magique : ce soir je suis heureuse grâce à Musica Vini. »
Penelope Fillon, invitée d’honneur de cette 3ème édition, mélomane affirmée et soutien du festival baroque de Sablé dès ses tout débuts, a déclaré : « chaque vin et chaque orchestre ont leur façon d’exister, difficile donc d’avoir une préférence. Dans ce cadre magique, Musica Vini est une idée merveilleuse et j’attends la prochaine édition avec impatience. » La saxophoniste Sophie Alour remarquant que les interprètes de genre musical différent jouent très rarement lors d’un même spectacle, a jugé enrichissante cette rencontre inhabituelle. Les imprésarios d’Alejandra Ribera ont trouvé judicieuse la rémunération des musiciennes en bouteilles : « c’est un échange de valeurs, » ajoutant : « souvent nos artistes aiment le vin. Alors… recommençons ! » Quant aux parents, ils ont apprécié les promenades en carriole d’attelage menées pour leurs enfants par Marie-Aude Bossuet autour de la propriété pendant les concerts-dégustations.
Réunis au sein de l’association Musica Vini, le vin qui inspire la musique depuis février 2015, les organisateurs se félicitent des résultats encourageants de la 3ème édition du festival. Sous la présidence d’honneur de Daniel Humair, percussionniste et peintre de renommée internationale, grand œnophile — un documentaire sur lui réalisé par Thierry Le Nouvel était projeté à l’issue du festival —, ils s’efforcent à la fois d’ancrer la manifestation sur son lieu de naissance à l’abbaye de Bellebranche et aussi d’accroître son rayonnement en Mayenne, en Sarthe et plus largement dans l’Ouest et sur le territoire français, en examinant de nouvelles opportunités pour l’année 2016 et au-delà.
Daniel J. Berger, président de l’association a conclu : « l’originalité de Musica Vini réside dans le fait que l’ensemble des participants — musiciens, vignerons, public — se retrouve à l’unisson du vin qui inspire une musique librement jouée, écoutée et commentée, pour une expérience de fusion des sensations. C’est un partage entre amis. Le festival est entièrement indépendant et sous sa forme actuelle, une première mondiale. »
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Citation de David Chan (ci-contre), violon soliste du Metropolitan Opera New York, directeur artistique du festival Musique & Vin au Clos Vougeot, publiée par Le Point / Vin et Société à l’issue de Vino Bravo 3ème édition à Reims le 16.10 :
« musique et vin c’est pareil, ils unissent des personnes, des cultures. Ce sont deux langues universelles où l’on peut communiquer sans mots. Le vin est un être vivant dans la bouteille et dès qu’on en a tiré le bouchon, il s’exprime et donne un concert. Même chose pour la musique qui vit non pas sur la partition mais pour un public qui la partage. Tous les deux sont une célébration de la vie. »
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