L’IVRESSE INTÉRIEURE
FRANCE 5 | 22.02.18
La Grande Librairie sur France 5 a été consacrée le 22 février à la vie intérieure, avec le psychiatre et psychothérapeute Christophe André qui exerce à Sainte-Anne et publie La vie intérieure. Avec le philosophe Robert Maggiori et Charlotte Casiraghi qui présentent Archipel des passions. Et le poète François Cheng qui livre Enfin le Royaume. François Busnel s’arrête un moment sur l’ivresse. Court extrait.
Christophe André — La vie intérieure, on peut dire que c’est tout ce flot d’émotions en nous, de ressenti corporel toujours présent même si on n’y prête pas forcément attention qui constituent l’essentiel de notre personnalité et même de notre humanité. La vie extérieure est certes passionnante mais un détour par la vie intérieure est nécessaire pour mieux diriger notre existence, avoir une meilleure conscience de nos valeurs, de nos émotions et de l’écart entre notre vie telle qu’elle est et ce vers quoi nous voulons la conduire : l’exploration de la vie intérieure est un moment de résistance au côté trépidant de la vie extérieure et aux pressions qu’elle exerce sur nous.
François Busnel — Christophe André, il y a dans votre livre une quarantaine d’exercices de méditation de pleine conscience selon votre expression, et des choix de passions, d’émotions comme la jalousie, la honte, etc. et cet éloge sur lequel je m’arrête, celui de l’ivresse, avec cette phrase admirable d’Antoine Blondin : « si quelque chose devait me manquer ce ne serait pas le vin, ce serait l’ivresse... »
Robert Maggiori — … les philosophes grecs le disaient déjà…
Christophe André — … ce que j’ai voulu montrer dans ce chapitre c’est que pour faire de la psychologie, de la philosophie tout comme de la poésie, on n’a pas à monter sur un piédestal et qu’au travers d’actes tout simples du quotidien comme boire un verre de vin, si on le fait d’une certaine manière avec une certaine qualité de présence, il se passe des choses passionnantes…
Ce que je dis au lecteur sur l’ivresse n’est pas un encouragement à boire plus que de raison, mais plutôt ceci : « prenez le verre de vin et gorgée après gorgée, observez ce qui se passe en vous, observez comment tout doucement ce vin modifie votre regard sur le monde, comment il vous rend peut-être plus bienveillant, plus fraternel, plus apaisé, regardez comment ce verre de vin fait que face à des problèmes qui vous préoccupaient énormément tout d’un coup vous arrivez à vous dire « OK, c’est la vie, tout va bien. »
Mais arrêtez-vous au premier verre… et demandez-vous comment reproduire ce qui est en train de vous arriver chimiquement, comment accéder autrement à des ivresses existentielles. » Je cite des romanciers, comme Maupassant qui se baladant sur les falaises normandes en regardant la mer, sent monter en lui une ivresse existentielle, sans avoir bu une goutte. C’est cela que j’encourage, la qualité de présence à chacun de nos gestes quotidiens, qui permet qu’il se passe des choses.
François Cheng — Dans la Chine ancienne tous les poètes buvaient, l’ivresse pour les Chinois est une forme de communion avec les éléments de la nature, on sort des contraintes sociales et on entre dans un état d’abandon, d’oubli de soi pour communier avec la nature.