DANIEL J. BERGER
Château Gazin est l’une des plus anciennes propriétés de Pomerol, remontant aux Chevaliers de l’Ordre de Malte au début du XIIème siècle. Ancienne halte des pèlerins en marche vers Saint Jacques de Compostelle au Moyen Âge, les bâtiments du château actuel seraient implantés à l’emplacement de l’ancien hospice des Chevaliers, dont la croix à huit pointes est restée attachée au vin de Pomerol et en tout cas à Château Gazin.
Les éditions Féret de Bordeaux publient un recueil sur ce domaine dont l’histoire est longue et celle des propriétaires actuels déjà centenaire, depuis ce jour de 1918 où leur ancêtre a acquis le vignoble, l’un des plus étendus de Pomerol.
Les Bailliencourt, l’une des plus anciennes familles françaises originaire d’Artois*, ont développé leur vignoble de 24 ha d’un seul tenant, face au célébrissime Château Petrus — auquel ils ont jadis vendu 4,5 hectares pour raisons de succession.
Nicolas de Bailliencourt qui veille avec son frère et leurs deux sœurs aux destinées du domaine, est l’un des parrains de ce blog depuis sa création : nos voyages-dégustations ‘Mtonvin’ ont inclus plusieurs visites de leur propriété délicieuse de simplicité et de proportions, distinguée comme leur vin — en reprenant la formule de Jacques Puisais, à l’image des gens qui le font**.
Le travail technique des Bailliencourt sur la vendange, de tout temps récoltée à la main, s’est modernisé progressivement jusqu’à la mise en pratique de la viticulture biologique aujourd’hui.
À Pomerol, seule grande AOP du bordelais sans classement, Château Gazin peut être rapproché d’un 3ème Grand Cru Classé du Médoc, ou d’un 1er GCC de St-Émilion. Depuis le XVIIIème siècle, la commune de Pomerol est cultivée en vignes au 4/5ème de sa superficie — 813 hectares sur un plateau de 4 x 3 km mitoyen de Saint-Émilion et limité par le ruisseau la Barbanne et par l’Isle, affluent de la Dordogne, qui crée un microclimat. Le merlot est planté à plus de 80%. La surface moyenne des quelque 120 propriétés avoisine 5,5 ha : Château Gazin est donc l’une des plus vastes.
Château Gazin est un grand Pomerol, d’un pourpre-grenat intense, au nez épicé exhalant des notes de sous bois et de gibier. L’ouvrage énumère avec zèle les nombreuses nuances en bouche « prune, chocolat, café, réglisse, cèdre, encens, amande, pain grillé, tabac, vanille, violette, menthe, » n’en jetez plus, le meilleur sommelier du monde s’y perdrait. À sa maturité, une vingtaine d’années après mise en bouteille, on peut même y reconnaître des notes de truffe émanant de l’argile bleue et de l’oxyde que contiennent les fameuses crasses de fer (terre noire) qu’on trouve ici dans le sol des graves communes au bordelais.
On a affaire à un Monsieur, qui vous jauge de sa hauteur et ne se laisse amadouer que les jours où il est disposé à vous raconter son histoire. Il change peu et sans à-coups (c’est nous qui sommes changeants), restant jeune un moment et mûr longtemps.
Le 2ème vin, l’Hospitalet de Gazin, issu des jeunes vignes, se boit plus tôt et se goûte mieux que le 1er vin tant qu’il n’est pas arrivé à maturité.
Je me souviens encore de ma première bouteille de Gazin, un 1975 payé 25 francs en 1979, l’équivalent de 11 € (cf. tableau de conversion 2010 de l’INSEE tenant compte de l’inflation relative), prix élevé à l’époque, mais bien moins qu’aujourd’hui puisque le 2016 s’achète entre 85 et 90 € (Gazin exporte sa production à 90%, le marché français ne répondant plus à de tels niveaux de prix).
Même si depuis les années 70 le vin a beaucoup évolué en ampleur aromatique, en finesse et en souplesse, je retrouve à chaque nouvelle dégustation mon impression première, un concerto de saveurs racées suscitant à la fois plaisir et respect, maintaining decorum comme disent les Anglais. Un vin de grandes occasions, à déboucher au moins trois heures à l’avance, dont on attend l’arrivée sur la table comme le couronnement du repas.
Le conseil donné page 60 est de faire du grand vin comme de l’Hospitalet des « partenaires naturels » des viandes rouge et blanche, du gibier, du foie gras, de la truffe et au dessert, des gâteaux d’amandes et des fruits rouges et noirs.
Ce précieux petit livre brille par sa clarté, sa rigueur, sa qualité documentaire au plan historique, en se gardant de l’impressionnisme lyrique, souvent pratiqué lorsqu’il s’agit d’évoquer un grand cru.
* qui remonterait à Lothaire, roi des Francs (941-986); et « dit Courcol », ainsi nommé après faits de bravoure d’un lointain ancêtre à la victoire de Bouvines (1214) ou à la défaite de Crécy (1346).
La famille de Bailliencourt dit Courcol est évoquée par Maurice Druon dans Les Rois maudits; et par Marguerite Yourcenar dans Souvenirs pieux, qu’elle décrit comme aïeux du côté paternel (édition Folio pp. 100, 101 et 102).
** J’aime que le vin ait la gueule de l’endroit et les tripes de l’homme, dit le vice-président de l’Institut du Goût.
CHÂTEAU GAZIN, Collection Châteaux et Domaines, FÉRET, octobre 2018, 64 p. 9,50 €
Merci pour cet article on ne peut plus positif et chaleureux concernant nos vins et ce petit bouquin. Nous ne sommes pas habitués à tant de prévenance de la part des journalistes. Nous les fréquentons assez régulièrement lors de nos dégustations professionnelles sans toutefois rechercher particulièrement leurs concours.
Nous sommes plutôt partisans du « never explain never complain » de nos amis britanniques.
A bientôt à Gazin?
Bonjour,
Je me souviendrai toujours de l’invitation qu’Alain Moueix fit à mon épouse et moi-même pour la fête de mai qui se déroulai cette année-là au château Gazin.
Je me souviendrai toujours de ce diner au château et de la découverte d’un grand nombre de noms prestigieux
Mais je me souviendrai plus encore de mon entretien avec » Courcol « , votre père, disert sur son nom, l’origine de son pseudonyme et de anecdotes qui y ont été attachées
je souhaiterais simplement par curiosité que vous m’indiquiez qui le porte aujourd’hui