Présenté au dernier Grand Tasting de Bettane+Desseauve au Carrousel du Louvre, le Vin de Constance est un blanc liquoreux, produit depuis plus de trois siècles dans la province du Cap en Afrique du Sud. Ce vin mythique et méconnu a inspiré de grands écrivains et été convoité par les têtes couronnées d’Europe au XIXème.

Après le désastre du phylloxéra qui l’a plongé dans un long sommeil, c’est au XXIème siècle qu’il retrouve son essentielle constance, qui le fait considérer de nos jours comme l’un des plus grands vin du monde. Histoire de sa naissance, de sa mort et de sa résurrection

XVIIème — XIXème siècle

Simon Van der Stel, gouverneur de la colonie du Cap nommé par la Compagnie des Indes Orientales, débarque en Afrique du Sud en 1679. Il s’y installe définitivement en 1685, dans la région du Cap, colonie des Pays Bas alors Provinces-Unies. Il va y planter un vignoble de plus de 750 hectares sur le domaine légué par la compagnie néerlandaise.

C’est un véritable vigneron, qui a entamé des travaux sur le Brande Vjin ou « vin brulé », le futur Brandy.  Au Cap, sa propriété qui va bientôt compter 70 000 pieds de vigne prend le nom de Constantia et le premier vin qui en sort en 1692, celui de Vin de Constance, prénom de son épouse, nom qui a perduré depuis.

Le père du vin de Constantia décède en 1712 et le domaine est alors divisé en trois : le terrain de sa famille renommé Groot (grande) Constantia, celui de Klein (petite) Constantia et celui de Bergvliet. Chaque domaine va être administré séparément.

Le domaine est repris en 1778 par un viticulteur de Stellenbosch, Hendrik Cloete, digne successeur de Van der Stel, hollandais et protestant comme lui. Il construit un nouveau chai et plante 10 000 pieds de cépages déjà implantés en Afrique dont le muscat de Frontignan, les muscat rouge et muscat blanc, le pontac rouge (d’origine bourguignonne, sans doute un pinot), et un peu de steen druyf (chenin blanc, appelé ainsi depuis longtemps en Afrique du Sud).

Peinture murale à Groot Constantia

Il accueille de nombreux visiteurs dans sa cave, comme la Britannique Lady Anne Barnard dont la famille va se sédentariser et devenir célèbre en Afrique du Sud, qui tombe en pâmoison devant une scène de foulage : « les corps antiques à peau de bronze, perpétuellement changeants et gracieux, dansent à moitié nus dans le pressoir et battent le tambour (si l’on peut dire) avec leurs pieds, parfaitement en rythme » à la surface du moût en haut des foudres.

Napoléon Ier aurait presque pu en boire

Au XIXème siècle, Hendrik Cloete va élever ce vin du Cap de Bonne Espérance à un haut niveau de qualité et le révéler au monde entier. Napoléon s’en fait expédier à Sainte Hélène et en boit dit-on une bouteille (50 cl) par jour (en 2016 une bouteille de 1821, qu’il aurait presque pu déguster, a été vendue 1 550 €). Les rois Louis Philippe, George IV ou Frédéric II, ainsi que Bismarck, sont de fervents consommateurs. Le Vin de Constance conquiert les grandes tables d’Europe rivalisant désormais avec les Madère, Tokaj et Château Yquem, auréolé en plus de son mystère de vin du bout du monde.

Plusieurs grands écrivains y font référence comme Jane Austen (dans Sense and Sensibility elle évoque son « pouvoir de guérison des déceptions du cœur « ); Dickens (Le Mystère d’Edwin Drood); Baudelaire, qui aurait rendu visite à Constantia (Les Fleurs du Mal XXVI): ou encore J. K. Huysmans (À rebours).

XXème siècle : dévastation et résurrection

À partir de 1860 l’oïdium puis le phylloxéra vont dévaster quasi entièrement la viticulture occidentale, et celle du sud de l’Afrique n’y échappera pas : les faillites des propriétés viticoles s’y succèdent, Constantia périclite, en 1885 le domaine devient propriété du gouvernement sud-africain qui le transforme en institut agricole puis en musée…

Après un siècle d’inertie si ce n’est d’abandon, la propriété est acquise en 1980 par la famille Jooste qui, avec l’aide de l’œnologue Chris Orffer, professeur à l’Université de Stellenbosch, décide de recréer le vin doux historique. La pourriture noble (botrytis cirenea) n’étant pas présente au Cap à l’époque de l’original, l’équipe va élaborer un vin de vendange tardive ou « surmaturé » comme on dit en Suisse, à partir de muscat blanc à petits grains dit de Frontignan. L’élaboration n’est pas sans risques — faible rendement (réduction de la récolte de 50%), nombreux passages dans la vigne nécessitant une main-d’œuvre nombreuse lors des « tries » successives des raisins à la vigne et au chai. Les premières plantations ont lieu en 1982 et l’ère nouvelle de Klein Constantia date de 1986 avec les premiers essais et en 1900 sort officiellement la première bouteille de « pur vin doux, doré presque ambré, aux arômes intenses, avec une bonne teneur en alcool et une persistance douce et longue. »

Klein Constantia au XXIème siècle

Le Muscat de Frontignan d’Afrique du Sud

Aujourd’hui 10 domaines produisent du vin de Constantia sur une superficie de 1 500 ha de terroirs parmi les plus intéressants de l’hémisphère sud, à mi-chemin entre l’océan atlantique et l’océan indien, dans un climat frais, froid par périodes, pluvieux et venté (les vignes doivent être attachées).

En 2011, les investisseurs Charles Harman et Zdenek Bakala rachètent la marque Klein Constantia et définissent un modèle économique. D’illustres Bordelais comme Hubert de Boüard (Château Angelus) et Bruno Prats (ex Cos d’Estournel, Clos de los Siete en Argentine, entre beaucoup d’autres) deviennent actionnaires du domaine dirigé par le Suédois Hans Astrom et managé par l’œnologue Matthew Day. Le vignoble s’étend sur 145 hectares dont 40 de vignes en coteaux pentus, à une altitude entre 10 et 350 m. Cent vingt personnes travaillent au domaine, car chaque pied de vigne est traité individuellement.

Huit hectares de muscat sont plantés sur les pentes du Constantiaberg (ressemblant aux coteaux de l’Hermitage) face à la baie False, sur des sols évoluant du grès d’éboulis sablonneux et rocheux au sommet, à l’argileux plus riche sur granit décomposé à mi-hauteur (rappelant le sous-sol du beaujolais), et aux sables en bas.

Les vendanges sont opérées à partir de 4h du matin, à la main, baie par baie et mises aussitôt dans la glace. 10% de la superficie sont récoltés d’abord pour constituer le vin de base à 12,5–13° avec une bonne acidité. Vient le tour des raisins déjà secs. Puis des raisins restants qui sont débarrassés de leurs feuilles pour améliorer leur exposition au soleil et favoriser l’accumulation de sucre. Une fois amollis et flétris, ils sont cueillis en plusieurs fois jusqu’à fin mars, c-à-d au milieu de l’automne. Les années difficiles, le nombre de passages peut monter jusqu’à quinze par parcelle.

La production d’aujourd’hui

Une partie du domaine est conduite en biodynamie car les vignes sont naturellement assainies par les vents dont cette fameuse brise surnommée Cape Doctor, bonne pour la santé des humains comme des plantes. Sur les quinze dernières années, trente hectares ont été replantés.

Le domaine produit aussi 25 000 bouteilles de Metis, un sauvignon blanc aux arômes de citron et de pierre à fusil, d’une grande fraîcheur, développé avec le vigneron de Sancerre Pascal Jolivet (auprès duquel on peut se procurer du Constantia).
Ainsi que 40 000 bouteilles d’un cabernet sauvignon fruité et subtilement épicé.
Et enfin un rosé et un effervescent.
À cette gamme s’ajoute la production d’Anwilka, domaine de Stellenbosch, Est du Cap.

VIN DE CONSTANCE : RAPPEL

Le Vin de Constance est un liquoreux, sans botrytis cirenea — contrairement à Yquem, un temps son rival-à-prix-inatteignable, aux Quarts de Chaume d’Anjou ou aux grands Alsace vendanges tardives. Il n’est pas « muté » par ajout d’alcool (stoppant la fermentation pour garder une teneur élevée en sucre qui hausse le degré d’alcool) comme dans les « Vins Doux Naturels » (bizarrement ainsi dénommés car ils n’ont rien de naturel), par exemple les Porto, Banyuls, Moscatel qui peuvent titrer 20° et plus.
Deux versions du Constantia ont bien existé aux siècles précédents, la première non mutée pour la consommation locale (titrant 14° maximum) et la seconde mutée (ou « fortifiée ») pour les marchés à l’export, car jusqu’au milieu du XIXème siècle, on ajoutait couramment de l’alcool aux vins transportés par bateau.

Sources : Jill Baikoff, Wine Anorak

Plus d’informations :

https://www.planetwine.co.nz/planet-wine-blog/the-constantia-estate-which-won-over-napoleon-nelson-and-european-high-society/