ANJOU: LA PAULÉE PREND DE L’AMPLEUR
lI y a un mois au château de Saumur, la « Paulée de l’Anjou » fêtait son 10ème anniversaire. Cette manifestation créée par un collectif de vignerons ambitieux veut faire mieux comprendre l’histoire, la géologie et les modes de viticulture angevins. En recomposant progressivement la province de l’Anjou historique groupant « Anjou blanc » (bassin parisien, sols de tuffeau calcaire) et « Anjou noir » (massif armoricain, sols de schistes et grès). Une vraie dynamique fédératrice. Nous en étions.
Historiquement, la « paulée » — la dernière « pelle » versée au pressoir, terme d’origine bourguignonne — a d’abord été synonyme de repas de fin de vendanges. Et l’occasion pour les viticulteurs de goûter à la bonne franquette leurs bonnes bouteilles respectives jusqu’à tard dans la nuit.
D’abord vernaculaire, la pratique de la Paulée s’est transformée parfois sous d’autres noms et à d’autres dates que celles des vendanges, avec un même objectif: promouvoir l’extraordinaire variété des terroirs viticoles français en en faisant déguster les vins aux professionnels — importateurs, sommeliers, cavistes, restaurateurs et bars à vins, journalistes spécialisés, etc.
Les engagements du collectif de la Paulée d’Anjou consignés dans une charte, précisent ses valeurs d’ouverture d’esprit et d’aide aux jeunes viticulteurs, sa mission de viticulture responsable et durable (bio et biodynamie). L’année dernière les vignerons de Bourgueil ont rejoint la Paulée montant à plus de 90 le nombre de ses membres*. Réunis en plein air autour de grandes tables de dégustation collective remplaçant le modèle une-table-un-vigneron, ils ont cette année mis à l’honneur ensemble les monocépages emblématiques de la région : chenin blanc et cabernet franc (rouge).
Pour ma part j’ai apprécié, entre autres, le savennières Clos du Papillon du Domaine du Closel, qui produit des « vins de lieu accompagnant le chenin dans sa capacité à exprimer un paysage dans sa diversité de terroirs et de climats [en prenant en compte] les saisons, le cycle de la lune, le jour et la nuit, la géologie, la lumière, la Loire, les coteaux de schiste et les coulées. » (Ouf). Un programme exemplaire.
Et aussi le blanc sec du Clos des Treilles, « modèle d’une viticulture héroïque héritée de Jo Pithon » travaillée sur un coteau très pentu et le liquoreux des Rouères tous deux du Domaine Berlargus (prix astronomiques); également le Coteaux de l’Aubance du Domaine de (la) Haute Perche, récemment repris; bien sûr la Coulée de Serrant 2020 qui après juste huit mois de fût de bois vieux apparaît déjà mûr; et enfin le cabernet franc Gondwana du domaine de Fosse Sèche sorti hors appellation (en « Vin de France », à 50 € quand même).
Ancrage culturel
La nouveauté de 2022 était une conférence voulant bien marquer la dimension culturelle des vins d’Anjou, sous l’égide de l’académicien Eric Orsenna, membre de l’académie du vin de France. Avec comme invité le journaliste anglais Andrew Jefford, l’un des premiers à avoir pressenti la renaissance de l’Anjou viticole. Ainsi que le vigneron-chroniqueur Patrick Baudouin à Chaudefonds-sur-Layon; la sommelière française qui fait paraît-il la pluie et le beau temps à New York, Pascaline Lepeltier; et la spécialiste des paysages à l’Unesco, Myriam Laidet.
Avec son agilité intellectuelle légendaire, Erik Orsenna a annoncé que si on lui avait proposé après les dernières élections le ministère de la culture, il aurait répondu préférer celui de l’agriculture, soulignant que la viticulture est aujourd’hui à l’avant-garde de la modernité: en effet, la diversité des sols et des terroirs notamment angevins provoque l’emballement de quelque 150 startups. Il a prédit la fin du climat tempéré (« il n’y a plus de classe moyenne climatique »). Et a encouragé les vignerons de la Paulée à tisser une histoire et une géographie — « des lieux, des liens, des personnes » prenant Jacques Puisais comme modèle.
Pascaline Lepeltier la sommelière française, star à New York City depuis 2009, confirmait que les amateurs et professionnels de Big Apple et plus largement des États-Unis sont « prêts à écouter les histoires des vins d’Anjou qui bénéficient en outre d’un très bon rapport qualité/prix. »
Remarque d’entrée d’Andrew Jefford, s’exprimant en français: « on manque dans le monde de blancs secs de rêve », vineux, complexes, et ceux d’Anjou « ont la capacité d’accéder à ce statut. » Avec une signature du sol, volcanique par exemple, en se comparant à l’Alsace ou à St-Chinian qu’il connaît bien (il vit en Languedoc depuis 2010). Il a insisté sur l’incroyable richesse culturelle du vin d’Anjou, déjà cité par Shakespeare par exemple dans King John / Le Roi Jean (siège d’Angers alors anglaise, assiégée par Louis le dauphin de France). Il a conclu en constatant le problème des appellations, qui doivent être réformées.
Relayé sur ce point par Patrick Baudouin, ancien libraire adepte depuis longtemps de la décroissance heureuse, installé d’abord sur quelques hectares en Layon légués par son grand père. En à peine deux décennies, il a produit des secs et des moelleux de haut niveau. Cet apôtre d’une œnologie de progrès, prophète de la renaissance de l’Anjou est un ardent soutien de la réforme des appellations — qui « doivent désormais inclure des critères de notre temps » comme la notion de biotope, et « intégrer les enjeux plus larges de la viticulture et du vin. »
Myriam Laidet, géographe longtemps en lien avec le centre du patrimoine mondial de l’Unesco, qui termine une thèse de doctorat sur le paysage viticole et sa valeur culturelle, estime que la douceur des paysages de l’Anjou (chemins et pentes, la Loire à Saumur et à Angers, les châteaux en bord de fleuve), appréciée dès le XVIIème par les négociants hollandais, est l’un des atouts majeurs pour la promotion de ses vins. Plus encore, le mariage vigne et jardin (les clos, les vignes au pied des châteaux) rare en Europe, conduit naturellement l’amateur à « boire du paysage. »
Perspectives ligériennes
L’édition 2022 a été une joyeuse réussite avec plus de 500 participants de 15 pays, clôturée par un repas gastronomique préparé par trois chefs angevins, Pascal Favre d’Anne, David Guitton et Mickaël Pihours. Concernant l’avenir de la manifestation, nous avons posé quelques questions à l’un des trois co-présidents de La Paulée d’Anjou, Ivan Massonnat (photo ci-dessous ©Jim Budd), créateur du magnifique projet multi terroirs angevins Belargus.
À SUIVRE…
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* Initialement 37 appellations, de Saumur, des coteaux de Loire (Savennières) et de l’Anjou (Layon, Aubance, Quarts de Chaume, Bonnezeaux, Anjou blanc).