DANIEL J. BERGER
Ce que dit Jamel Debbouze à Alain Chabat en s’enfuyant pour se cacher Sur la piste du Marsupilami* — « Comptez jusqu’à… 8 000 ! », vous et nous l’avons fait ensemble pour la cuvée Mmmm… ton vin! En comptant plus encore.

L’objectif 8 000 bouteilles, sine qua non pour obtenir le prix maximum de 6 € ttc franco, a été atteint en moins de 15 jours rien que par les souscripteurs de Paris. Et les réseaux Mmmm… ton vin! des pays de Loire (3 000), de Stuttgart (800), de la région dacquoise (660), de Suisse et de Provence ont réservé 6 000 b, soit environ 14 000 au total et presque 180 acheteurs pour cette cuvée spéciale ‘Mtonvin’ 2010.
Résultat encourageant qui atteste de notre capacité de mobilisation : le réseau ‘Mtonvin’ existe, vous l’avez rencontré, nous allons désormais pouvoir monter des projets en s’appuyant sur lui.

Nous qui restreignons nos achats groupés aux grandes années, nous avons hésité à lancer l’offre : après 2009, voilà à nouveau un millésime 2010 digne d’une cuvée spéciale Mmmm… ton vin!, deux années de suite c’est rapproché. Mais dame nature commande, c’est ainsi. Nous avons été demander leur avis aux amis buveurs souscripteurs des cuvées précédentes : ils se sont en majorité déclarés partants — à commencer par le groupe de Stuttgart emmené par Dietrich Schaefer, qui piaffait d’envie dès l’automne. La preuve est faite aujourd’hui, nous avions tort de douter et de notre mission et de votre réactivité.

Après avoir traversé l’estuaire par le bac Royan—Le Verdon (ci-dessous, dans les années 50) dans une lumière voilée un peu mystérieuse avec le phare de Cordouan qu’on devine au loin (j’ai l’impression d’écrire cette phrase pour la nième fois, c’est sans doute que la nostalgie de la traversée et la magie de cet endroit irréel entre eau et ciel agissent toujours), le jeudi 8 décembre dernier nous avons rendez-vous vers 13h30 avec un « petit château » près de notre pôle médocain de Saint-Seurin-de-Cadourne (1).

Car nous nous sommes dit qu’il fallait cette fois aller explorer le « médoc caché », les crus artisans qui se démènent, font tout chez eux et par eux-mêmes — ils sont 44 au classement qui n’en est pas un, on en est ou pas c’est tout; ils ont droit à la dénomination « château », un peu dérisoire quand on voit les lieux, pavillon en bord de route ou hangar au fond de la cour —; et les domaines et châteaux dont on ne parle guère.

Nous nous sommes fixé une zone de prix, toujours la même, entre 5 et 6 € ttc/franco. En consultant LE Guide des vins de Bordeaux du titan Jacques Dupont du Point (2000 pages en papier bible, dont l’intro cite Pierre Desproges en exergue : « Les femmes et le bordeaux […], les deux seules raisons de survivre« ), notre noyau de la première heure (2) a retenu huit propriétés et nous voilà donc les jeudi 8 et vendredi 9 décembre en plein cœur du Haut-Médoc.

Nous sommes arrivés à l’heure au Château du Moulin de Blanchon, situé à l’écart de St-Seurin. La famille Négrier a commencé au bas de l’échelle comme ouvriers viticoles, ils ont acheté une première parcelle de 25 ares en 1978, ont été des coopérateurs de La Paroisse jusqu’en 1992, et sont devenus 20 ans plus tard propriétaires de 24 ha et de 311 barriques. Aujourd’hui, après avoir été classés Cru Bourgeois trois années de suite jusqu’aux péripéties d’annulation générale du classement qui leur a été fatale, ils font leur « mise au château ». Les enfants prennent la suite, ils visent l’amélioration de la qualité avec « toujours plus ou moins 50% merlot, 50% cabernet-sauvignon », et s’appliquent à développer leur notoriété en commençant par recevoir les clients à déjeuner en semaine.

On goûte le 2010, sorti de fût neuf et de fût de deux ans, et aussi le 2009 en fût neuf et le 2007 en bouteille. Pas de doute, ils savent faire : on a un vin charnu, souple, suffisamment gourmand et long, entre 5,30 et 5,50 €. On emporte un échantillon. Ça démarre bien.

Puis Cave La Paroisse à St-Seurin, qui exploite 62 ha répartis entre 44 propriétaires-coopérateurs sur des croupes de graves et d’argilo-calcaire descendant doucement vers la rivière. Notre idée de derrière la tête, c’est l’assemblage à façon comme nous l’avions pratiqué pour la 1ère cuvée Mtonvin 2005 à la coopérative de Gaillan-en-Médoc.

Nous trouvons le directeur-œnologue, Emmanuel Lesne. Il nous dit que les critères de qualité sont devenus « draconiens« , et les coopérateurs sont payés à la qualité et non plus comme avant à la quantité. Les trois employés passent au moins deux fois dans chaque parcelle. « L’égrappage, a permis de boire les cabernets plus tôt, d’accord, mais certains châteaux en reviennent… la rafle est un support de vieillissement de 10 à 15 ans. » Alors, on va recommencer à laisser la rafle et à attendre que le bordeaux vieillisse ? Quête de qualité permanente, même à contre courant.

Nous goûtons le premier La Paroisse 2010, sorti de la cuve n°2 : beau nez expressif malgré des arômes encore enfermés; assez alcooleux mais sans lourdeur; la matière est ronde. « Vous savez que 8000 bouteilles ça fait 60 hectos ? 6 000 litres quoi ! Vous allez vraiment acheter 6 000 litres ? » Le deuxième, de la cuve n°16, est de teinte plus vive, a un nez légèrement réduit de pomme blette, moins de structure en bouche, sans doute plus de rondeur mais moins de précision. La Paroisse 2009 est à 7,60 €, on ne parle pas prix, il y aurait moyen, on verra.

En retraversant le village, nous débouchons devant Pontoise-Cabarrus, dont les chais se trouvent dans une simple maison au coin de la place de l’église. Nous n’avions pas rendez-vous mais le contact se fait facilement, à travers une fenêtre ouverte, on s’avance dans un réduit sombre jusqu’à un homme en bottes sous le néon, un tuyau à la main qui gicle. Il nous fait goûter directement de la cuve. Nous racontons notre histoire de cuvée ‘Mtonvin’. Oui il serait dans la fourchette de prix.

L’homme que nous venons de rencontrer est Eric Tereygeol, le patron maître de chai, l’apparence modeste et l’abord direct. Il nous fait passer dans la salle de dégustation (ci-contre) et nous regoûtons. Je trouve le jus harmonieux, délicat et léger, fruité, déjà rond, exquis pour tout dire, on sent le savoir faire qui a su comment accompagner et faire naître une grande année.
Je ne dis rien, les autres non plus. Tereygeol nous remet un échantillon du 2ème vin. Il y a dix ans, il a rejoint son frère Laurent à la tête de l’exploitation familiale, avant il faisait tout autre chose. Les deux frères ont un œnologue conseil, Eric Boissenot. Le soir tombe, il fait doux, on tient quelque chose. Charlie murmure : « il y a du plus. »

Ci-dessous, Château du Raux. Photo de gauche: siècle dernier, façade arrière. Photo de droite: aujourd’hui, façade avant.

Quand nous pénétrons dans la petite cour du Château du Raux, de l’autre côté de Cussac-Fort-Médoc, il fait nuit. Le fils de la famille Bernard nous attend, sa mère reste en haut, son père va descendre.

La cave bien rangée donne une impression d’intelligence et d’expérience. Le fils parle volontiers technique : « Le délestage a remplacé le remontage, l’extraction est ainsi mieux répartie et le résultat plus doux, sans le côté oppressif des tannins. »
Le jus est un peu froid, on le réchauffe dans nos mains. On devine le fruit de ce vin « en longueur, relevé en finale, étiré » comme l’écrit Jacques Dupont à propos du 2009 dans son Guide des vins de Bordeaux (Grasset). C’est vrai que ce qui est dans le verre est élégant : « Le 2010, vous pourrez le boire assez vite et le garder 10 ans minimum. » Le père descend par l’escalier de bois. Sa devise : « pas d’excès en rien. » La bouteille est à 8 €, on ne va pas pouvoir faire descendre de 2 €.

À SUIVRE… PROCHAIN ÉPISODE : ON EN TESTE D’AUTRES !

Chabat mérite-t-il ces bonnes critiques ?
(1) Outre Pontoise-Cabarrus, la communue de Saint-Seurin-de-Cadourne groupe à elle seule 16 châteaux, tous Crus Bourgeois sauf Sociando, classé nulle part, et Haut-Brega, cru artisan : d’Aurilhac, Bel-Orme-Tronquoy-de-Lalande, Bonneau-Livran, Charmail, Coufran, Doyac, Grandis, Grand-Moulin, Haut-Brega, Maurac, Muret, Verdignan, Saint-Paul, Senilhac, Sociando-Mallet, Soudard, Verdus.
(2) Claudine Petit, indisponible cette fois-ci; l’inoxydable Jean-Jacques Lobel et son voisin de Vaucresson Charlie Mangani, nouveau venu; Lincoln Siliakus, empêché au dernier moment par la grippe. NB : Lincoln a depuis subi l’ablation d’un rein et nous lui souhaitons un bon rétablissement.