DANIEL J. BERGER
Languedoc-Roussillon, plus vaste vignoble du monde de 243 000 ha, deux fois Bordeaux, le 1/3 du vignoble hexagonal, arc méditerranéen s’étendant des confins de la Camargue au bord de la frontière catalane, révolutionné par les vagues successives de réformes dignes des plans agraires soviétiques ou chinois.
Languedoc-Roussillon, re-né d’une longue période productiviste où le monde d’Oc vivait du vin mais dans les querelles causées par la surproduction et l’insatisfaction des consommateurs, par une qualité impropre et, jusque dans les années 80, un attentisme léthargique et suicidaire.
Et puis Languedoc-Roussillon devenu moteur de la croissance des ventes de vin en GD* et locomotive de l’exportation, définitivement détourné du gros rouge dont les Français buvaient dans les années 60 en moyenne 150 litres/habitant/an, et résolument engagé dans la qualité : « c’était ça ou la mort » lâche Frédéric Jeanjean, le président réélu du Conseil Interprofessionnel des Vins du Languedoc (CIVL).
Que s’est-il passé ?
« Il y a vingt-cinq ans, Le Languedoc ne produisait que 20% de vins sous IGP (Indication Géographique Protégée) et 80 % sans, aujourd’hui c’est pratiquement l’inverse » remarque René Moreno, le responsable des IGP au CIVL, c’est-à-dire en majorité des vins de table la plupart sans caractère et peu rentables, dont une bonne partie allait à la distillation. Après l’arrachage massif d’un bon tiers des vignes, subventionné par l’Europe (programme OCM, 16 000 € l’hectare arraché), des vignes pas toujours médiocres d’ailleurs, la région a réduit sa production de 30 millions d’hectolitres dans les années 70 à 20 millions dans les années 90 et à 13,5 aujourd’hui.
« Le pari était jugé fou, » ironise Xavier de Valontat, vice-Pdt du CIVL, « et qui n’a pu être gagné qu’au prix d’une restructuration draconienne » en privilégiant les cépages méditerranéens traditionnels, en menant des recherches encore jamais entreprises sur les terroirs, la conduite des vignes, la maîtrise des rendements, la vinification, la gestion des stocks, maladie endémique, « tout ce qui a permis la naissance un peu mouvementée de l’AOC Languedoc en 2007. »
Le pack est soudé. Le bureau du CIVL est là en ce matin de décembre dernier, tel un pack de rugby prêt à charger, venu à Paris vendre le 2013 avec un slogan : « 320 jours de soleil comme nulle part ailleurs, » une année exceptionnelle partout en Languedoc-Roussillon, suffisamment ventée, avec des vendanges bien mûries et des rendements équilibrés. Ils annoncent que les professionnels de la profession vont poursuivre leur politique de « revalorisation de l’offre, » entendez le soutien des prix et, « AOC par AOC, vigneron par vigneron », leur stratégie de maintien de flux ininterrompu.
Tous ces changements radicaux ne se sont pas faits sans douleur :
« en 2005-2006 nous avons connu la pire crise de l’histoire du Languedoc et en 2010 la moitié des vignerons était partis » rappelle Philippe Coste, autre membre du CIVL. Mais le chemin a été parcouru et le vignoble entièrement renouvelé : volontaires, les viticulteurs restés accrochés au terrain ont appris à réduire les rendements (45 hl/ha en AOC rouges et 60 hl/ha en blancs contre au moins le double il y a encore quelques années), — « et quelquefois il a fallu se montrer plus que ferme » insiste Frédéric Jeanjean (ci-contre) en chef d’Etat Major prêt à mener à bien la phase opérationnelle d’organisation du nouveau Languedoc. Ils se sont fixé des cahiers des charges avec des objectifs de qualité pouvant justifier des hausses de prix.
Les coopératives emblématiques de la région ont perdu plus de 80% du volume de leur production depuis 1970, mais aujourd’hui regroupées ou fusionnées et modernisées parfois de manière exemplaire, elles comptent toujours pour 70% de la production. Celles qui ont fermé sont devenues des musées ou des locaux socio-culturels.
L’effort de guerre aboutit à la classification progressive en « AOC Languedoc », précédant sur l’étiquette les appellations locales — « Corbières » ou « Faugères », « Minervois » ou « Saint-Chinian » par exemple, il y en a 36, et ce n’est pas fini : « le consommateur exige de la diversité, de l’originalité, de la nouveauté, tout ce que savent exprimer nos rouges, blancs, rosés qui ont progressé de 20%, sans oublier les pétillants, muscats et doux naturels, que leur donne la fabuleuse variété de nos terroirs et de nos cépages, qui se prêtent à tout type de viticulture » ajoute fièrement Frédéric Jeanjean, notre toujours mordant héros du Languedoc, acharné à poursuivre l’organisation de la Région par AOC.
La région voit bio. Faudrait-il encore réduire les rendements et encore réorganiser le vignoble ? Ou bien ouvrir la chasse aux degrés, comme le fait depuis une vingtaine d’années le Domaine de la Colombette ? En tout cas, le Languedoc-Roussillon reste leader du bio, en surface avec plus de 20 000 ha comme en nombre d’exploitations avec 1 245 producteurs en 2013, en croissance de 4%.
L’export progresse vers chaque pays importateur notamment le trio magique USA-Chine-Japon, et le Languedoc-Roussillon est ainsi devenu région française exportatrice n°1 avec 3,4 millions d’hectolitres, soit plus de 450 millions de bouteilles, en progression d’environ 10% sur 2012, 2ème en Chine après Bordeaux.
Valeur ajoutée globale d’environ 6% (+13% pour les AOC, supérieure à celle de la Bourgogne pourtant exemplaire) : « en GD* la part des vins à plus de 3€/b (ht départ) dépasse les 50% contre 44 il y a deux ans, et le segment à plus de 5€/b s’envole » note Frédéric Manuel, secrétaire général du CIVL. Eh oui, le prix va monter jusque là où le marché sera prêt à l’accepter, une bouteille d’AOC Languedoc va se vendre couramment 10-12 €+.
Tout semble au beau fixe : avec un budget de 4,5 M€, les campagnes « Sud de France » fleurissent comme en aurait rêvé le visionnaire Georges Frêche qui imaginait des « vins de Septimanie ». Et les foires aux vins à l’étranger se multiplient, au Royaume Uni et en Irlande; aux États-Unis et au Canada; à Hong Kong, Taiwan et en Chine; et bien sûr en Allemagne, premier importateur, et dans les pays de l’Est.
Le Languedoc-Roussillon devient terre de toutes les promesses de vin, offrant les mêmes potentialités que le Nouveau Monde, et même plus : il est à lui seul un nouveau monde.