JEAN NOUAILHAC / Newsletter LE POINT / mardi 2 décembre 2014
Nous vivons dans un bien curieux pays, à se demander parfois si nous sommes toujours en France. On vient d’apprendre dans le JDD du 30.11 que François Hollande ne boit pas de champagne parce que « ça fait riche ». Il ne se contente pas de refuser d’en boire, il veut aussi en priver les autres. Pierre-Emmanuel Taittinger, qui préside la maison de champagne familiale, révèle en effet dans le JDD que lors de la visite officielle à Reims de la chancelière Angela Merkel le 8 juillet 2012, « M. Hollande n’a demandé qu’une seule chose pour cette célébration de la réconciliation franco-allemande : ne pas boire de champagne. Boire du champagne, ça fait riche, alors on n’en boit pas.«
Pierre-Emmanuel Taittinger en est d’autant plus directement affecté que c’est son père, Jean Taittinger, à l’époque maire de Reims, qui avait accueilli le chancelier Adenauer et le général de Gaulle le 8 juillet 1962 pour y célébrer la réconciliation franco-allemande – dont on fêtait donc le 50e anniversaire en 2012 -, car c’est à Reims qu’avait eu lieu la première capitulation des nazis en 1945. Reims, « ville symbole de l’amitié franco-allemande », selon Angela Merkel qui aurait volontiers partagé une coupe de champagne avec le chef de l’État français devant les cameramen et les photographes.
Le vin taxé comme un danger public
Qui peut comprendre une telle mauvaise manière faite non seulement à la chancelière allemande, mais aux Champenois qui, comme tous les autres vignerons français, travaillent plus pour l’État que pour eux-mêmes ? La France est le premier exportateur de vin au monde et ces exportations ont rapporté 7,6 milliards d’euros en 2012, dernière année connue. Bon an mal an, en comptant les spiritueux, nos exportations totales varient depuis dix ans entre 8 et 10 milliards d’euros, second meilleur score juste après l’aéronautique, la chimie et la parfumerie étant troisièmes.
Eh bien, vous savez quoi ? Le vin, qui appartient à notre histoire, notre patrimoine et notre culture, qui fait partie de nos actifs les plus sacrés pour l’éternité, est taxé et surtaxé comme s’il était un danger public, contrôlé et surcontrôlé comme s’il était élevé et produit par des malfrats et des tricheurs : tous les grands domaines et châteaux viticoles, particulièrement les plus prestigieux d’entre eux, font l’objet de contrôles Urssaf et de contrôles fiscaux quasi permanents, sans compter les autres contrôles de la panoplie française, spécialement fournie en la matière. En France, il est même interdit de faire de la publicité pour le vin, ce qui fait les délices de nos concurrents qui n’arrivent pas à comprendre, les pauvres, les subtilités du « modèle français » ! Une réglementation brutale et talibane qui empêche les professionnels du vin de respirer.
Il est question depuis quelques semaines, par exemple, de supprimer le « contrat vendanges » qui facilite l’emploi de saisonniers et d’étudiants pendant les vendanges en les exonérant de charges salariales pour leur permettre d’amasser pendant l’été un pécule un peu plus rebondi. Selon la Mutualité sociale agricole, 22 000 domaines viticoles seraient concernés à travers 315 000 contrats représentant 221 millions d’euros de (modestes) salaires saisonniers très précaires. On reste confondu devant tant d’acharnement ! On parle également de durcir les mentions sanitaires sur les étiquettes et d’interdire de parler du vin sur Internet. Chez nous, les ayatollahs anti-vin, largement subventionnés, se repaissent de leur triste pouvoir de nuisance sans le moindre scrupule, à l’image de notre actuel président qui non seulement « n’aime pas les riches », mais en plus n’aime pas le champagne parce que « ça fait riche ». Peut-on imaginer plus mauvaise publicité à l’étranger pour nos vignerons français qui s’échinent à longueur d’année pour ne pas trop y subir les lois d’airain de la mondialisation ?
« Chirac et Sarkozy ont été désastreux en matière de vin »
Le plus curieux dans tout cela, c’est cette volonté affichée de sanctionner tout un pan de l’économie française, l’un des plus dynamiques et l’un de ceux qui rapportent le plus de devises au pays. Et cela ne date pas de François Hollande. Pierre-Emmanuel Taittinger rappelle, dans son interview que « Chirac et Sarkozy ont été désastreux en matière de vin. Chirac a même fait de la publicité pour une bière étrangère. Sarkozy ne buvait pas de vin et Hollande en boit, mais n’ose pas le dire. » Or, nos Silicon Valley et nos Seattle Valley sont en Gironde et en Champagne et, en plus, elles ne sont pas délocalisables, donc elles sont plus facilement les victimes d’une administration tatillonne et punitive. On n’y développe pas d’entreprises high-tech comme Apple ou Microsoft, mais on y cultive depuis des siècles des produits culturels de très haut niveau mondial – le vin et le champagne – qui non seulement rapportent des tonneaux de devises, mais aussi un grand prestige international et un prodigieux bénéfice d’image.
Deux questions : ne pourrait-on pas éviter de se tirer ainsi en permanence des balles dans le pied, et avons-nous vraiment les présidents que nous méritons ?