Huitième d’une série de dix articles sur un voyage organisé par les syndicats des appellations Graves et Pessac-Léognan pendant les vendanges 2014.
Chaque article fait référence à un écrivain.

A. Lurton 18. Château La Louvière.
Inspiré par l’Amateur de Bordeaux, rédacteur en chef Jean-Paul Kauffmann (avant son enlèvement au Liban en 1985).

Quand André Lurton (à gauche) achète La Louvière en 1965, l’ensemble du domaine est loin d’être dans l’état de splendeur où il se trouve aujourd’hui, la cour d’honneur est envahie de ronces, les grilles rouillées sont renversées, les bâtiments en très mauvais état et les pauvres vignes « peinaient à atteindre les fils de fer distendus d’en haut » * se souvient-il.

Les chais sont inondés, les vieilles cuves de bois exténuées, tout est à faire, il faut replanter le vignoble, cimenter les sols et construire des rangées de nouvelles cuves, s’équiper de matériels…

 


 

Louviere 1Louviere 3Il aurait dû renoncer André Lurton, mais il a été impressionné, sidéré même : « ce château donnait une impression de tristesse, de désespoir, mais aussi de beauté et de grandeur » *. Reprendre un château oublié et ruiné, voilà une aventure pour André Lurton remarque Jean-Paul Kauffmann. ***

Il décide donc d’y aller, réunit les 120 millions (de francs, soit 18 M€+), demande au grand Emile Peynaud d’être l’œnologue du domaine, et alors s’ouvre le moment d’une résurrection lente.

Un grand chai thermo-régulé de 1 200 barriques sous vingt-sept voûtes sur trois travées est creusé en souterrain, et le château entièrement restauré et remeublé avec toute la persévérance du propriétaire qui a été chiner là où des pièces éparpillées du mobilier original pouvaient être retrouvées : « [les travaux] je n’ai fait que ça ou presque ! J’ai bâti des maisons, des chais, des châteaux, planté des vignes. Chaque année tout mon budget disponible partait là-dedans et chaque fois que je suis arrivé quelque part, il a fallu que je change tout. » *

André Lurton a fêté ses 90 ans le 4 octobre 2014.

Pendant les vendanges il teste son plan de bataille, marchant dans les vignes appuyé sur sa canne, stimulant les équipes, surveillant les maturités, attentif aux heures qui passent.

A Lurton 5Et il a encore un combat à mener : faire classer La Louvière en Cru Classé Pessac-Léognan, qui ne l’est pas (encore), situé entre Carbonnieux et Haut-Bailly qui le sont — le sol est pourtant le même, graves profondes, sables roux et calcaire en bas des pentes vers l’Eau Blanche qui va courir le long de Carbonnieux.
Il a tant œuvré pour le classement distinctif Pessac-Léognan il y a 30 ans bientôt ! Par ce classement tant voulu, il s’efforce de revaloriser La Louvière pour rassurer le département Grands Crus du Crédit Agricole qui a dû procéder à une augmentation du capital des « Vignobles André Lurton » pour faciliter la succession.

À côté de La Louvière, les Vignobles André Lurton regroupent les châteaux Bonnet, 300 ha en Entre-deux-Mers, berceau de la famille et la plus grande propriété vinicole de Bordeaux; Rochemorin, Cruzeau, Couhins-Lurton en Pessac-Léognan; et participations dans Dauzac à Margaux et Barbe Blanche à Lussac St-Émilion; soit 650 hectares de vignes dont 430 en rouge, sur sept appellations**; cinq maîtres de chai, trois œnologues et le professeur-consultant Denis Dubourdieu en conseil; l’ensemble groupe 200 personnes qui produisent 4 millions de bouteilles/an, pour un chiffre d’affaires de 25 M€ dont la moitié à l’export (67 pays).
Grille LouviereIl est 13h, avec Miss Vicky dont c’est l’anniversaire, je franchis la grille du parc du château, c’est majestueux.
Nous sommes attendus à déjeuner par Vincent Cruège,
le directeur œnologie et relations extérieures et Christian Siutat, le directeur viticulture groupe, qui auront l’élégance de le lui souhaiter au dessert. Sur la table deux blancs, un Couhins Lurton 2010 et un La Louvière 2009, et le rosé du Château Bonnet. Tout cela est grand, « il ne faut pas avoir honte de l’être » aime dire André Lurton paraît-il, en tout cas aucune honte à les boire sans modération. Suivis des rouges Couhins-Lurton 2010 et La Louvière 2009 qui font monter au ciel.

Ici, depuis le millésime 2003 après une dégustation de vins blancs suisses de vingt ans parfaitement conservés grâce à la capsule à vis, on croit ferme à ce bouchage étanche à l’oxygène qui épargne l’aléatoire du liège et garantit l’exceptionnelle fraîcheur aromatique des bouteilles là sous nos yeux : plus d’une sur quatre signée Lurton est capsulée ***.

C’est qu’on croit à l’innovation en général : un atelier a été créé pour répondre instantanément aux besoins des domaines — chaudronnerie, ferronnerie, menuiserie, mécanique; de même, a été installée sous serre à Château Bonnet une pépinière de plants de vignes et de porte greffes — 200 000 sont produits en interne. Et, après essai d’un prototype à Rochemorin, un système « tribaie » a été mis en place sur l’ensemble des propriétés, éliminant impitoyablemet les raisins verts : sans bon raisin pas de bon vin. Enfin, plus technique, on pratique la thermothérapie pour chauffer les apex (pousse extrême de la vigne) en cas de grand froid; et on surveille scientifiquement la concentration des tannins par IPT (Indice des Polyphénols Totaux). Faire toujours mieux grâce aux progrès technologiques.

 

Comme l’avance Jean-Paul Kauffmann : « le plus remarquable dans cette aventure, c’est que tout se tient. L’allure du château ressemble à l’homme qui le détient et le vin est la réplique du château. Les qualificatifs employés pour caractériser l’édifice peuvent être utilisés pour définir le cru : l’expression du classicisme, le sens de l’équilibre, avec cette légère pointe de sévérité que La Louvière possède en sa jeunesse. » ****

DJB 3

 

 

DANIEL J. BERGER

 

 

 

 

À SUIVRE : HAUT-BRION OUI ET NON

 

* Cité par Gilles Berdin « Autour d’une bouteille avec André Lurton » pp. 58 et 63, Éditions Elytis, 2010
** Pessac-Léognan, Margaux, Lussac-Saint-Emilion, Bordeaux, Bordeaux Supérieur, Entre-Deux-Mers, Graves.
*** Autres avantages de ce bouchage : on peut choisir le niveau de perméabilité de la capsule; les bouteilles n’ont plus besoin d’être couchées; elles ne sont pas impactées par les variations d’hygrométrie ou de température des mauvaises caves.
**** Préface de Château La Louvière, le bel art du vin, p. 12 et 13, Ed. La Martinière, 2010