D’après JACKY RIGAUX

À l’occasion d’un prochain voyage-dégustation Mtonvin en Bourgogne conduit par lui, Jacky Rigaux (photo) connu pour ses recherches sur la vigne, le vin et le terroir, est aussi un grand promoteur de la dégustation géo-sensorielle, qui conjugue goût et connaissance du terroir.

« A l’évidence des climats est consubstantiellement associée
la dégustation géo-sensorielle qui conjugue le goût et la connaissance du terroir
» s’exprime Aubert de Villaine, qui a présidé l’association pour le classement des climats de Bourgogne au patrimoine mondial de l’UNESCO, dans la préface de mon livre Le réveil des terroirs, défense et illustration des climats de Bourgogne.

Pour apprécier le vin de lieu, il faut  faire retour à la pratique
de dégustation des Gourmets
. La dégustation géo-sensorielle, qualificatif nouveau créé pour réactiver la pratique respectueuse
du terroir, associe intimement la connaissance du lieu — et de ceux qui le font vivre, qui l’interprètent, qui le révèlent — à l’art de la dégustation. Sans l’homme qui le sert, qui l’interprète, qui le transcende (ou l’avilit), le lieu n’est guère qu’une espérance…

Pratiquer la dégustation géo-sensorielle, c’est accueillir en soi
le vin de lieu qui libère le message délivré par la « Nature » de ce lieu, c’est-à-dire l’expression de la complexité naturelle née du travail du temps sur l’architecture de notre Terre.

Quelques préceptes hérités des Gourmets…

•   Le silence. Comme le faisaient les moines bénédictins, c’est en silence que l’on accueille le vin en bouche, après en avoir miré sa robe. On le fait rouler sur la langue, ce que les anciens appelaient « grumer », et on lui laisse prendre toute sa dimension, pour apprécier en finale sa longueur et les arômes qu’il libère en rétro-olfaction. Si l’on veut s’imprégner du goût du lieu, c’est en se laissant toucher par le vin en bouche que l’on y accédera le plus intimement.

•   Tous les lieux ne se valent pas. Il y a des différences, et il y a une hiérarchie entre les lieux où peut pousser
la vigne. Ainsi, de tout temps, cette hiérarchie fut reconnue et à l’époque moderne on distingue des niveaux d’appellation. En Bourgogne, par exemple, il existe une hiérarchie à quatre niveaux : appellation Régionale, appellation Village, appellation Premier Cru et appellation Grand Cru. Tous les vignobles de France n’ont cependant pas reconnu une telle hiérarchie dans les années 1930 : Marque en Champagne, Château en Bordelais, Cépage en Alsace, périmètre délimité dans les autres vignobles de France, mais sans hiérarchie. Aujourd’hui cependant, sur le modèle bourguignon on retrouve dans tous les vignobles de France et d’Europe
les hiérarchies établies avant le drame phylloxérique, y compris en Champagne où la marque s’était imposée ! L’Alsace a reconnu des Grands Crus et demande actuellement la reconnaissance de Premiers Crus. La Bourgogne est le fer de lance de cette viticulture de lieu et de hiérarchie des lieux, modèle universel après le classement UNESCO de juillet 2015 qui instaure la philosophie des « climats. »

•   Le cépage agit comme un passeur entre le lieu et l’homme. « Le cépage est le prénom du vin, le terroir son nom de famille ». Plus le lieu est favorable à la culture de la vigne, plus le cépage se fait oublier, en s’effaçant au profit du goût de lieu, du « murmure du terroir » !

•   Le cépage traduit la complexité du lieu en une complexité de goût. Il doit donc lui-même être assez complexe, et le clone unique d’un cépage paraît tout à fait incapable de rendre compte des subtilités du lieu.
Il peut donc être unique traducteur du lieu, à condition d’être assez diversifié. Il existe des vignobles où l’on assemble des parcelles plantées en différents cépages et des vignobles qui privilégient l’encépagement unique. Quoi qu’il en soit des choix viticoles, des lieux différents génèrent des goûts différents.

•   La dégustation géo-sensorielle a été initiée avec le tastevin. Le Gourmet appréciait la couleur du vin,
puis en faisait entrer en bouche. Il le « grumait » (rouler en bouche), le « tastait », et il appréciait les arômes par la rétro-olfaction. Œil, bouche, arômes, tel était le protocole de la dégustation. De nos jours le recours à un verre noir permet d’établir une hiérarchie des informations délivrées au cerveau.

•   La salivation assure le passage entre l’extérieur et l’intérieur, et active la sensation de sapidité que génère le grand vin de lieu. « Le vin n’est pas fait pour être reniflé, mais pour être bu », aimait dire le Bourguigon Henri Jayer, le pape des vignerons ! Il est important de faire confiance à sa salivation qui accueille le vin en bouche, et de réapprendre à en faire le vecteur majeur de la dégustation, comme du bien boire.

•   Les principaux descripteurs de vins de lieu sont les qualificatifs des Gourmets : consistance (sève), souplesse (flexibilité de la consistance), viscosité, vivacité (pétulance), texture, sapidité, minéralité, longueur, persistance aromatique, digestibilité.

À SUIVRE…

Indications bibliographiques
• Jacky Rigaux, La dégustation géo-sensorielle, Terre en Vues, 2012. (Version anglaise, 2015. Version italienne 2016).
• Jacky Rigaux, Le réveil des Terroirs, Défense et illustration des « climats » de Bourgogne, 2010, Editions de Bourgogne (Préface Aubert de Villaine).