DANIEL J. BERGER
C’était la mi-octobre. Nous faisions un petit tour dans les vignobles de La Londe-les-Maures (Est de la carte ci-dessous) à Bandol (à l’Ouest), par un temps de rêve comme on dit, alors que les pluies devaient se prolonger toute la semaine. Notre voyage-dégustation avait pour but de mieux connaître les rouges et les blancs de cette partie de Provence, dont la production se trouve un peu occultée par celle des rosés devenus carrément envahissants.
De la petite route de Bormes-les-Mimosas on ne voit rien du massif des Maures, vieilles roches à la carapace fripée, si vieilles, préhistoriques. Pour avoir un point de vue, il faut suivre une route de crêtes, mais ce n’est pas prévu au programme, ou bien emprunter les autoroutes qui vous les mettent en perspective, on l’a fait hier soir, le panorama était grandiose.
Cette petite route de Bormes à Cabasson, lieu dit où s’embouche la route du Fort de Brégançon, serpente mollement en détours capricieux, on passe dans un tunnel végétal au tracé un peu flou bordé de petits chênes verts, d’oliviers pas vraiment alignés, de thuyas qui mordent les bordures de pierraille. Dans la pénombre sous les branches, des moutons gris se tiennent immobiles à chacun de nos passages : sont-ils bien vivants ? On devine la mer bleu foncé derrière les rangs de vignes roussies.
Au sein de la vaste appellation Côtes de Provence (18 000 hectares), une trentaine de vignerons et une cave coopérative ont su faire valoir auprès de l’INAO l’homogénéité du terroir qui, sur 30 km entre le Cap Bénat à l’est et la presqu’île de Giens à l’ouest, associe un sol schisteux à un climat tempéré par la Méditerranée. Et ils ont obtenu en 2008 l’AOC Côtes de Provence-La Londe pour leurs rouges et rosés (les blancs restent CdP), incluant sur seulement 80 ha Lalonde-les-Maures, Bormes-les-Mimosas, La Crau et Hyères. Nous en avons goûté quelques-uns choisis par nos amis buveurs Danièle et Jean-Jacques Lobel, nos hôtes à Cabasson.
À La Londe-les-Maures, la vendange a duré de la mi-août à la mi-septembre, elle est terminée depuis un mois. On ne cache pas son sourire, 2018 est une bonne année, les domaines des bords de mer ont été épargnés par le gel, les longues pluies de printemps ont protégé les vignes des chaleurs d’été, et si le mildiou a amoindri la quantité récoltée il n’a pas nui à la qualité du raisin.
12 octobre 2018 à 10h30 – CLOS MIREILLE – Domaines OTT à La Londe-les-Maures
Eh oui, il pleut aussi en Provence, 1 200 ml en deux jours, hier c’était la tornade, entre les rangs de vigne le sol est détrempé (photo).
Aujourd’hui grand soleil, l’air est venté. Au Clos Mireille on entend les ânes braire au loin.
Clos Mireille est une marque connue et une propriété de premier plan à La Londe-les-Maures, qui maintient un niveau de communication régulier.
Rappel — Le groupe Roederer, actionnaire majoritaire d’un empire viticole de 650 M€, a une participation de 66% dans les domaines Ott (Clos Mireille, Château de la Selle en Côtes de Provence et Château Romassan en Bandol) ainsi que dans les bordeaux Pichon Longueville Comtesse de Lalande, Haut-Beauséjour et Pez, le champagne Deutz (lui-même actionnnaire de Delas en vallée du Rhône), le porto Ramos Pinto, et l’effervescent californien Roederer Estate.
C’est le sympathique et dynamique Jean-François Ott qui nous reçoit (à droite), l’un des petit fils de Marcel Ott, ce pionnier alsacien conquérant de vignes au début du XXème siècle qui plutôt que l’Algérie a choisi le Provence en acquérant d’abord le Château de la Selle en 1912 puis le Clos Mireille en 1930.
Il y a dans leur portrait comme un air de famille.
Marcel Ott a été le bâtisseur de Clos Mireille après arrachage des mûriers sauvages, des vieux oliviers et des pins parasols pour y planter du sémillon, du grenache, du cinsault et de la syrah du rolle (appelé vermentino en Italie et en Corse).
On le dit inventeur du rosé de presse*.
En tout cas il a créé la fameuse bouteille en forme de noyau d’olive devenue emblème exclusif de la marque — Marcel Ott souhaitait la voir se généraliser en Provence, mais personne n’en a voulu (à droite, les premiers moules).
Jean-François Ott nous conduit à travers le domaine de 55 hectares bien ordonnés, avec un réseau de drainage sophistiqué, des massifs de fleurs assainissantes, des petits bosquets de pins et des carrés laissés en jachère
car les remontées de sel y tueraient les racines de vignes et, à l’une des extrémités du vignoble, un portail ouvrant sur… la mer.
Et voir la Méditerranée venir lécher le bord du vignoble vous met dans un état d’osmose cosmique propice à la DÉGUSTATION :
CLOS MIREILLE ROSÉ 2017. Grenache, cinsault, syrah. Très clair (« couleur capucine saumonée, rehaussée de reflets d’aurore naissante » dit la fiche technique, très inspirée). La mode est au rosé, dépassant largement la Provence, le phénomène est devenu planétaire. La couleur claire est recherchée, elle serait synonyme de qualité. 25,60 €/b. Nous allons avoir ces quatre jours plusieurs débats autour de la question « le rosé est-il du vin ? »
CLOS MIREILLE BLANC DE BLANCS 2016. 80% sémillon, 20% rolle, élevage sur lies. Comme pas mal d’autres vignerons, Ott tend à se débarrasser de l’ugni blanc (ou trebbiano), cépage censé apporter un complément d’acidité mais jugé moins qualitatif. J. F. Ott rappelle que Clos Mireille n’a longtemps produit que du blanc, couleur d’origine et identité des vins de Provence et que le rosé est récent, remontant aux années 1950. Vin soyeux, ample, avec des arômes d’agrumes (citron) et de fruits exotiques (kumquat). 24 €/b
14h30 – CHÂTEAU MALHERBE à Bormes-les-Mimosas
Retour à Bormes-les-Mimosas sur le contreforts du Cap Bénat par la « route du bout du monde » jusqu’à la rade d’Hyères au château Malherbe. Ou plutôt ferme qu’il a été longtemps, celle du Fort de Brégançon. La propriété est depuis quatre générations dans la famille Ferrari qui a réhabilité le vignoble de 20 ha, cultivé comme un jardin et passé en bio en 2013.
Il s’étend en pente douce sur deux terroirs (ci-dessus) : la pointe du Diable dont une extrémité a lui aussi les pieds dans l’eau et les coteaux de Malherbe que nous avons parcouru au cours d’une balade très sportive en 4×4 : bien secouer le visiteur avant dégustation :
POINTE DU DIABLE
Le terroir de la pointe du Diable se situe en front de mer, sur un sol sableux composé d’alluvions anciennes parsemé d’éclats de quartz, rafraîchi par les rosées nocturnes du rivage.
— Rosé 2017. Grenache, cinsault. Rosé de saignée, macéré 24h à basse température. Elevage 3 mois sur lies. Couleur claire, nez discret, bonne attaque, de la fraîcheur, longueur modérée. 17,70 €/b. 20 000 b.
— Blanc 2015. Rolle, sémillon. Très beau vin, quintessence du blanc de Provence. Epuisé.
— Rouge 2014. Syrah, grenache, cabernet sauvignon. Macération basse t°. 4 semaines de cuve puis fût de chêne. Rouge assez clair, joli nez de fruits rouges et d’eucalyptus. Longueur fraîche et épicée. 25 €/b. 15 000 b.
CHATEAU MALHERBE
Celui des coteaux de Malherbe dispose d’un sol argilo-schisteux (terre rouge), irrigué de manière naturelle par les ruissellements du massif des Maures.
— Rosé 2017. Grenache, rolle. Saignée et maturation à froid 24-36h. Élevage sur lies. Nez de pivoine. De l’acidité et de la tension en bouche. Jolie finale. 153 € les 6. 15 000 b.
— Blanc 2016. Rolle, sémillon. Jaune pâle. Arômes de coing et de citron. Bouche ample de notes minérales et d’agrume. Beau vin cher : 189 € les 6 (31,50 €/b). 10 000 b.
— Grand blanc 2014. Rolle, sémillon. Jaune soleil. Élevage sur lies 18 mois en demi-muids de chêne (150 l). Superbe nez. Bouche complexe de miel, d’oranges confites et d’ananas. 90 €/mgm. 2 600 b, 160 mgm.
— Rouge 2014. Mourvèdre, grenache, syrah. Vinification de chaque cépage séparément, idem pour l’élevage en fûts, puis assemblage final. Rubis éclatant. Nez de mure et de cannelle. Bouche de fruits cuits, de garrigue, de terre chaude. 30 €/b. 10 000 b et 400 mgm.
Outre la dégustation des vins énumérés ci-dessus, la visite de Malherbe offre un grand nombre de points de vue sur les parcelles du vignoble, les collines, les sous bois et les panoramas en bord de mer : au loin Giens, Port Cros, et tout près Brégançon (à droite ci-dessous, Porquerolles au fond).
La balade dans le verger-potager où sont rassemblés les végétaux du maquis — notamment arbousiers, genêts, myrtes, lentisques, cistes cotonneux –, au milieu de 70 variétés oubliées de poiriers, pommiers, fraisiers et de légumes méditerranéens, est très instructive. On sent un engagement de l’équipe du domaine pour maintenir un équilibre durable entre nature et culture. L’intérieur de l’ancienne ferme (ci-dessous) présente les installations anciennes comme l’ancien cuvier en carreaux de verre ou la machine à cirer les cols (à droite).
17h – CHÂTEAU LES BORMETTES à La Londe-Les-Maures
Ce domaine est de beaucoup le plus ancien que ceux déjà visités : le vignoble des Bormettes présent ici depuis l’époque gallo romaine, a existé dès le Xème siècle sur ce territoire bien avant la création même de La Londe. Il a été exploité fin XVIème par les moines de la Chartreuse de la Verne, où se trouve une partie des caves en voûtes et alcôves (ci-dessous).
Horace Vernet, peintre officiel de Napoléon III, a acquis la propriété en 1855 et l’a dotée d’un château assez kitsch aujourd’hui enserré dans un lotissement dont les revenus seraient employés à sa restauration après avoir été peint en vert par l’occupant pendant la guerre, puis ensuite une longue période aux mains d’un service de télécommunications de l’armée.
L’exploitation s’est véritablement configurée de 1970 à 2010 et c’est maintenant que le vignoble de 72 ha dirigé par le propriétaire Fabrice Faré et son chef d’exploitation Yannick Burles, ancien caviste et acheteur pour Monoprix, qui visent à l’élargir à 90 ha, est en train de prendre sa véritable dimension, celle d’un domaine viticole provençal de premier plan, déjà impressionnant d’originalité et d’ambition.
Notre voyage-dégustation a pour but de mieux connaître les rouges et les blancs de Provence. Nous sommes bien tombés : sur le sujet du rosé, Yannick Burles s’en est déjà expliqué : rares sont les consommateurs de rosé qui croient boire un vin ! Nous visons à descendre de 70 à 50% notre part de rosé car pour produire des rosés à la mode, c-à-d très pâles, nous serions contraints d’ajouter des produits exogènes, de collage notamment, et nous ne le voulons pas. Les rosés des Bormettes restent à l’écart des modes et des injonctions du marché : ils ont de la structure, du volume, de la couleur, beaucoup d’arômes et peuvent accompagner un repas.
La famille Faré a déjà investi plusieurs millions dans son domaine, estimé en 2018 entre 120 et 150 000 €/ha, qui jouit en appellation La Londe-les-Maures d’un terroir viticole tempéré par le littoral, riche de schistes et de quartz, à fort potentiel et propice à la singularité des vins, « en expérimentant sans dogmatisme. » Ce vignoble en coteaux à moins de 1 km de la mer (ci-dessus) est entouré de 140 ha de forêt et de maquis préservés : nous cherchons à produire des rouges et des blancs dont les arômes sont à l’image de notre terroir, avec du minéral, du sel, du fumé, et aussi de la rondeur et de la fraîcheur sans acidité ni amertume, avant tout gourmands, précise Yannick Burles. Beau programme non ?
Et nous n’allons pas être déçus par la dégustation :
Instinct parcellaire blanc La Bergerie 2016. Rolle 100%. Élevé en partie en fût de chêne dans la cave des moines. Très parfumé. Bonbon. Un délice de confiserie. 15,90 €
Cuvée Hélène blanc 2017. Rolle 100%. « Il a été cueilli surmûri comme les Corses le font avec le vermentino. » Récolte nocturne. Macération longue à basse température pour extraire le fruité. Élevé sur lies en cuve de la vendange à la mise en bouteille au printemps. Réduction des lies pour obtenir une fraîcheur mentholée.
Notes d’hydrocarbure et de fruits — agrumes, pêche, puis poire. Belle finale de douceur, proche du muscat. Michel Bettane n’a pas oublié de le remarquer, le qualifiant de « riesling de la Méditerranée. » 9,90 €.
Indiscutablement le meilleur rapport Q/P de la journée, et de loin.
Instinct parcellaire rouge 2017 Pic Saint-Martin. Syrah 93%, rolle 7%. « Nous avons ajouté une petite proportion de blanc. On s’approche d’une Côte Rôtie ou d’un Châteauneuf du Pape. » 9,90 €/b
Instinct parcellaire rouge 2017 Le Rif. Syrah 90 % grenache 10%. « 3 F — finesse, fraîcheur, fruit et 1 G, pour gourmandise. »
Instinct parcellaire rouge 2016 Saint-Georges. Syrah 90, cabernet sauvignon 10%. « On est plus près du pinot noir que des côtes de Provence. »
Cuvée Pater, rouge 2015. Mourvèdre 85%, syrah 15%. 24,90 €/b
Les prix s’entendent départ caveau.
Nous venons de découvrir aux Bormettes un vrai trésor : des vins très originaux dont le conception est mûrement réfléchie pour sortir du train-train, avec une gamme fournie, peut-être trop, et sans doute un peu compliquée.
La grande taille du vignoble permet une stratégie d’optimisation parcellaire révélant de nombreuses possibilités.
Et les prix sont abordables comparés aux « grands » de l’appellation dont les différences de tarif ne sont pas toujours justifiées.
À La Londe-les-Laures, nous avons aussi rendu visite et dégusté les vins des domaines de :
JASSON
Vignoble de 17 ha, pieds quadragénaires. L’engagement écologique du vigneron est exemplaire, qui dit que « le mistral est le meilleur antibiotique du raisin « . Le résultat de ses pratiques ancestrales — tranchée entre les rangs favorisant la descente des racines en profondeur, enrobage des pieds en hiver, coquillages concassés qui apportent de l’azote, irrigation selon nécessité –, est probant : la plante en très bonne santé est belle d’aspect, plus que sa voisine, celle des Valentines pourtant en culture bio. « Mésanges, pierrots et palombes viennent débarrasser la vigne des insectes et se nourrir des grappillons. » Les vins nous sont apparus moins convaincants.
LES VALENTINES
50 ha de vignes, pinèdes et garrigues poussent sur le schiste. Ce domaine qui existe depuis le début du XXème a longtemps porté sa vendange à la Coopérative de La Londe jusqu’en 1997 année de reprise par Gilles Pons et Pascale Massenot. Jolis vins blancs.
FIGUIÈRE (ex Saint-André de FIGUIÈRE)
Domaine familial en bio de 80 ha racheté en 1992 par Alain Combard, alors associé de Michel Laroche à Chablis. Très belle réussite de l’entreprise qui produit 350 000 b de rosé sur 1,5 Mb/an. Trois gammes dans les trois couleurs : Première, aux alentours de 20€/b, Confidentielle, Signature vendue au négoce, un « vin plaisir au nom des trois enfants » (Magali, Valérie, François).