PIERRE CHALMIN
Printemps, Été,
Automne et Hiver,
c’est pas par hasard
si c’est dans cet ordre,
c’est pour pas être obligé de refaire tous les calendriers…
4. QUAND C’EST TROP PRINTANIER…
… en avance, ça sera automnal en avance aussi forcément puisque les saisons vont ensemble. Voici l’écueil redoutable d’un florilège saisonnier : il faut esquiver l’anachronisme, demeurer sourd aux sirènes enivrantes dont l’une propose perfide Janvier, février, mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre, octobre, novembre, décembre… maintenant dans le désordre…, quand l’autre susurre insolente Printemps, été, automne, hiver, c’est la fuite en avant ces conneries, alors que la troisième, mélomane et portée sur la métaphore, tranche follement Les 4 saisons de Vivaldi, j’ai écouté ça, c’est interminable ! 2 saisons, ça suffisait largement.
Postulons donc hardiment l’existence des saisons, climat mais surtout atmosphère : Y’a que ces cons de Parisiens pour pas être sensibles au rythme des saisons ! – Même les oiseaux y sont moins cons que les Parisiens. – Au moins y volent, eux !
Déduisons que les saisons exercent une influence très sensible sur l’habitué du comptoir, parisien compris, dont Jean-Marie Gourio recueille inlassablement depuis vingt ans les anathèmes, apophtegmes, aperçus, acrimonies ou aménités, aveuglements et âneries, en ses ana fameux de on-dit, d’informations entendues et mal comprises, de remarques pertinentes, de blagues, de malheurs, d’anniversaires et de morts, de naissances et de départs en retraite, de grosses larmes bien lourdes et d’éclats de rire à faire péter les carreaux.
Photo de Robert Doisneau ci-contre: Robert Giraud et Jacques Delarue, 1950 © Robert Doisneau/Rapho.
La Brève de comptoir obéit aux saisons, aussi sûrement que les enfants naissent en hiver parce qu’ils sont conçus au printemps, qu’on trépasse en automne parce que les morts y ont leur jour, qu’on réveillonne en hiver, vote au printemps, villégiature ou guerroie en été, à cause du 14-Juillet, à moins que ce ne soit en automne à cause du 11-Novembre, ou même en hiver dans ces pays d’Orient où le soldat français, d’un naturel frileux, recherche la chaleur. La mort est un sujet dont la gravité n’échappe pas à l’homme qui boit : c’est donc en automne qu’il se penchera d’un même mouvement sur son ballon de Beaujolais Nouveau et les fins dernières. Mais n’anticipons pas.
Aux sujets que suggère la saison, se mêlent ceux d’une actualité aussi imprévisible qu’implacable, faits divers ou événements historiques, qui les tempèrent voire les éclipsent, accaparant pour un temps indéterminé l’intérêt de la galerie de comptoir : nous en avons respecté la chronologie. Enfin, une troisième catégorie de Brèves nous a paru récalcitrante à toute classification, pour l’excellente et suffisante raison qu’elle ne connaît pas de saison, sujets éternels et universels des plus passionnés débats, récurrentes incursions dans la logorrhée bistrotière, – de coquecigrues terrassantes en renversants coq-à-l’âne –, de la tétralogie « bagnole, baise, biture, bouffe », de « ces cons de la télé », du Loto et de l’inégalité proclamée des races humaines.
Voilà le printemps ! les hommes politiques mentent plus qu’à l’ordinaire, les jupes raccourcissent et les… nez s’allongent, turgescents, dans l’épiphanie passionnée de la nature qui reverdit. C’est la saison des femmes, – bonnes, connasses, gonzesses ou pouffiasses –, celle où elles s’aventurent au comptoir ou au mariage, où on les entend, furieuses ou feutrées, toujours frustrées, faire assaut d’esprit avec les mâles accoudés. Les glaçons refont leur apparition dans le pastis, un sang plus chaud circule qui dans le même flux monte à la tête et irrigue l’entrejambe, pour ragaillardir la verve de nos héros primesautiers.
Ne nous hâtons pas pourtant de conclure à quelque révolution ontologique, c’est encore la vie qui continue, l’été déjà s’annonce, c’est le printemps !