GUY LAINÉ
Après le Palais Gourmand (Ma Route 66 -1), il y avait une suite les mecs !
Une grande balade en tournant autour du Canigou (écrire Canigó, si us plau), aux pics toujours enneigés (2 784 m), impossible de ne pas le voir.
Lundi 29 mars, j’embarquai pour un périple entre vignobles en terrasse sculptés dans la roche dominant la mer, petit train jaune serpentant dans la montagne, plaines qui s’allumaient des colorations naissantes d’amandiers, cerisiers, péchers; et lieux toujours magiques comme Collioure, le village de Céret ou Villefranche-de-Conflent avec ses fortifs Vauban. Et je vous passe les horizons catalans un peu mouvants dans une lumière frisante gris blond, parfois sombre… Et les étapes resto-vin organisées par nos « guides », je vous raconte pas ! Oh si, je vous les raconte.
À Collioure la lumière était voilée, on le voit sur la photo (ci-dessus). Passage au Cellier des Dominicains, une coopé installée depuis 1926 dans un vieux couvent, devenu sous Napoléon arsenal militaire. Histoire de se remettre d’équerre, j’ai dégusté leurs Collioures 2008, en blanc Padreils (grenache gis, vermentino, marsanne), et en rouge St Dominique (grenache noir, syrah, mourvèdre) et Cuvée des culottes (mourvèdre, grenache noir, carignan « de coteaux »); leur rancio sec Taillefert (appellation « VdP côte Vermeille »); et leur Banyuls hors d’âge Augustin Hanicotte. Puis on a débarqué aux Templiers.
Les Templiers, c’est un célèbre café-hôtel-restaurant, l’ex-Café des sports de Collioure, tenu « de père en fils » par les messieurs Pous (ci-dessous, l’intérieur). Jojo Pous est né au 1er étage, n’en a jamais bougé, a une collection d’environ 2 000 oeuvres qu’il ne connaît pas toutes — dont des Matisse, Dali, Derain, Maillol, Cocteau, Chagall, Picasso, Dufy, etc.—, fondée par son père René Pous, qui pendant la guerre d’Espagne mécénait les artistes en délicatesse avec la guardia civil. Et le monde entier vient à Jojo Pous sans qu’il ait à faire grand chose. Alors que moi pour rencontrer le monde, je bourlingue en tout sens sur le globe ! Il avait l’air content de nous voir Jojo, et il nous a fait servir le banyuls sur son fameux bar formé par une coque de barque de pécheurs comme il y en a encore sur le port.
Pour le déjeuner, on s’est retrouvé juste à côté, à la Casa Léon, dont « le patron va lui-même pêcher le poisson« , devant une belle et bonne assiette d’anchois (ci-contre), accompagnée d’un bon Collioure 2008 Cuvée des peintres de la Cave de l’Abbé Rous, suivi du même en 2007 sur la langouste, bon aussi. L’abbé Rous, il est connu ici comme l’est le chanoine Kir à Dijon : au siècle dernier il a inventé la vente de Banyuls en direct, via son Œuvre du Vin de Messe ! Cette coopérative groupe une dizaine de producteurs — 1570 ha au total sur Collioure, Port-Vendres, Banyuls et Cerbère. On le trouve dans les 6-7 € (ne pas hésiter les mecs !). C’était super et on a bien rigolé !
Le soir on était à Argelès-sur-mer à l’Auberge du Roua. Argelès ne donne pas sur la mer, non c’est Argelès-Plage, à ne pas confondre non plus avec Argelès-Gazost, dans les gaves. Après le muscat sec en apéritif, un peu vert, a été servi un blanc VdP Côtes catalanes Three Trees, 50% rolle/macabeu du domaine de Majas (Tom Lubbe) sur une langoustine au four, consommé de crustacé avec une espuma (en français, mousse) à l’ail : y en avait pas des tonnes mais c’était bon. Puis, sur un filet de vivaneau (regardé sur Wikipedia : poisson de mer à chair maigre) en croûte manchego (fromage espagnol de La Mancha, tout le monde connaît voyons) avec des petits oignons farcis et asperges vertes, un rouge du domaine Fontanel (vallée de l’Agly) qui nous a tenu compagnie au dessert, un délice glacé à la verveine, mousse chocolat orange et fenouil confit, décoré d’un jet de coulis de crème au citron. L’ardoise rectangulaire en guise d’assiette, ça a l’air la mode ici : pourquoi pas une pierre de lauze, un carreau de salle de bains, un morceau de pierre tombale, ou un dessus de borne kilométrique ? Après tout ça, on était content de rentrer se gorgeonner un bon vieux rancio sec.
Le lendemain 30 mars, on déjeunait chez l’une des Toques Blanches du Roussillon, Gilles Bascou, à Clara, dans son restaurant Les Loges du jardin d’Aymeric (il y cultive lui-même ses légumes et ses fruits au jardin potager, d’où le nom). Et où il est perché tout là-haut, pas facile à trouver, il a intérêt à être bon. Effectivement il en fait du bon, du très bon, pour moi le meilleur du séjour.
Et sympa en plus. D’abord un succulent brochet en bouillie servi avec un blanc frais 2008 Impressions, de Marie Blanes (côtes du Roussillon, 85 % grenache blanc et 15 % macabeu), floral, fin, élégant. Ensuite un pigeon avec une touche de foie gras, broccoli et sauce au safran, accompagné d’un Collioure 2008 à bonne température (grenache, amélioré d’un peu de syrah et de carignan) de La Rectorie (« presbytère » en catalan) : hey ! les mecs, notez la classe du cuistot qui nous sert une chair blanche pour s’effacer devant le vin — harmonieux, fruité, prêt à boire, sur lequel on a continué. On n’avait encore rien vu…
Est arrivé le dessert, des fraises garriguettes avec une glace vanille et cuillère au chocolat, délicieux je le proclame, et un gaspacho de pommes avec un cannelet : j’ai adoré, les mecs !
Bascou (ci-dessus) est arrivé hé-hé, au café hé-hé, modeste, attentif, rapide, sympa je vous disais, pour signer son livre Cuisinez les saisons, écrit avec la chroniqueuse de France Bleu Roussillon au nom d’opérette ou de série rose, Virginie Saint-Clair, surnommée « Superfraîcheur ». Le bouquin, je le recommande : 10 recettes de légumes et fruits pour chacune des saisons, avec une page « Atout santé » et des petites rubriques « Trucs », » Beauté », « Bon à savoir ». C’est simple, facile à faire, bio-écolo-tradition. Et local : ils ont d’ailleurs un artichaut AOC, une pomme de terre AOC (la béa), leurs péchers et amandiers sont des précoces, et les cerises de Céret sont les premières à arriver sur les marchés.
À propos de « local », j’ai envie de dire deux choses, les mecs !
1. Question pinard, il s’en passe des choses en Roussillon ! Je m’en doutais déjà mais je l’ai vérifié pendant ce séjour ! Il y a tous ces mecs attirés par la tradition libertaire (moins qu’avant) et collective (moins qu’avant aussi, on le savait) du coin, et par le prix abordable du foncier (il y a plus guère qu’ici et maintenant), venus de diverses régions d’Europe — des Français, des Anglais, Allemands, Néerlandais, Suédois, Belges, et des salariés espagnols et portugais, des saisonniers polonais, et ils ne repartent pas —, ces jeunes vignerons, (petits) proprios ou pas, qui à force de rechercher et de trouver en restant toujours dans l’invention, se foutant pas mal des agréments AOC, font des VdP qui bousculent le goût bien-pensant et qui, et ne serait-ce que pour ça, me branchent grave et me chahutent la vie comme quand je suis à la barre par gros temps…
Regardez-les plutôt ces athtlètes! On n’en entend pas vraiment parler (et on les a pas beaucoup vus lors du périple, mesdames les « guides » !), ils sont actifs autour de Maury — comme Marc, Pierre et Thierry Parcé à La Préceptorie (vus au Palais Gourmand, eux); à Latour-de-France, Jean-Louis Tribouley, ou Cyril Fahl au Clos du Rouge Gorge; à Calce, Gérard et Lionel Gauby à La Muntada, en expérimentation constante, ou Olivier Pithon (qu’on a vu aussi); à Montmer, Edouard Laffitte, Le Bout du monde; et Loïc Roure au domaine du possible à Lansac, Jean-François Nicq aux foulards rouges à Montesquieu, Stéphane Morin au domaine Léonine à Argelès, ou encore Frédérique et Etienne Montès à La Casenove, à Trouillas; sans oublier Hervé Bizeul, ex-journaleux devenu entrepreneur du 3ème type et viticulteur art et essai et qui nous fait des cuvées Clos des fées (goûtée à Perpignan), De battre mon coeur s’est arrêté ou La Petite Sibérie.
Tous ils démontrent que les « côtes du Roussillon » donnent de grands vins (*).
2. Mes prochaines vacances à terre, c’est dans ce coin que je vais les passer : dites-moi où vous trouvez à la fois des décors de plaines avec des carrés de jardins potagers à perte de vue irrigués par un réseau étonnant de ruisseaux, d’agouilles (canaux draînants) et d’aqueducs; des cultures de collines en murets, qui sentent si bon, thym, romarin, garrigue; des itinéraires romans et/ou baroques stupéfiants; des bonnes grimpettes dans les vallées de montage (Agly, Têt, Heureuse, Tortues…) jusqu’aux lacs; des panoramas sur la Méditerranée et des balades en mer ? Et en moins d’une heure on est à Narbonne, dans les Corbières ou en Emporda. Quant à la bouffe, vous avez vu !
Hey! les mecs, allez, je reprends la mer, après un petit tour chez les Bretons pour goûter leurs vins (si si) ! Je vous en reparle si ça vaut le coup.