DANIEL J BERGER
4ème lettre écrite pendant le voyage-dégustation organisé en décembre 2010 par la FIJEV* pour rencontrer certains lauréats des prix décernés par la Région Toscane.
Nous sommes à Col d’Orcia, patrie du Brunello et d’autres vins emblématiques de Toscane.
Propriétaire de la tenuta Col d’Orcia, située à 450 m d’altitude au sud de Montalcino, le comte Francesco Marone Cinzano (oui, la marque d’apéritif) connaît tout le monde du vin et reçoit beaucoup. Il aime les belles choses de la vie, les Bugatti par exemple, mais surtout, surtout, les vins qu’il produit avec l’élégante passion qui lui est propre, assisté par Edoardo Virano, directeur de l’exploitation et par l’œnologue maison Pablo Härri et le redoutable Maurizio Castelli (voir Lettre de Montepulciano 1)
La tenuta (« tenue » ou « domaine ») couvre 540 hectares dont 142 de vignobles, qui s’étendent de la rivière Orcia jusqu’à Sant’Angelo in Colle (ancien nom de la propriété), produisant des Brunello, Rosso et Moscadello di Montalcino, et aussi des supertoscans, un AOP Sant’Antimo et bien sûr, du chianti.
Le comte à la barbe grisonnante bien taillée est un homme de vision et de recherche collaborant avec les universités de Florence et de Milan, et d’éloquence, qui va nous présenter sa gamme avec autant d’aisance que de précision.
D’abord Montalcino. Ceux qui ont fait partie du voyage-dégustation Mtonvin en 2005 se souviendront de cette surprenante région vallonnée et boisée à 40 km au sud de Sienne, culminant à 600 m et délimitée par les rivières Ombrone, Asso et Orcia. Les vignes côtoient un peu partout oliviers et plantations céréalières. À chaque détour de route, un nouveau paysage se dévoile, profond, accidenté, secret, verdoyant. Ils se rappelleront la belle comtesse Stella di Campalto dominant sur son promontoire toute la vallée et l’abbaye Sant’Antimo, égrenant en souriant ses grappes foncées au crépuscule pendant que sa fille jouait avec les étiquettes encourant entre les barriques. Depuis, la zone a été classée au patrimoine de l’humanité de l’UNESCO et Stella est devenue l’une des marraines du blog.
Le sangiovese (sgv) ensuite, cépage principal des rouges toscans, base du chianti et de la majorité des supertoscans, et seul admis dans le Brunello (post à venir sur le sujet). Son nom vient de la contraction de Sangue (sang) et Giove (Jupiter). C’est le cépage italien incontournable : en 1990, 10% de l’ensemble du vignoble de la botte étaient plantés en sgv, pur ou en plants dérivés et/ou clônes, notamment les prugnolo gentile et morellino. Francesco Marone Cinzano précise : « Contrairement à ce qu’on dit généralement, le sangiovese n’aime pas partager, il a tendance à s’effacer en présence de « copains« , il ne se mélange pas ! »
Col d’Orcia béni des dieux. Les vignes sont exposées au sud jusqu’aux derniers rayons du soleil, protégées du brouillard et du gel par le mont Amiata (1 750 m), et rafraîchies par les brises adoucies de la mer qui n’est qu’à 35 km. La pluviométrie est faible, le sol pauvre en argile et riche en calcaire.
Les 4/5 du vignoble (soit 113,5 ha) sont plantés en sgv et le reste (28,5 ha) réparti entre pinot grigio et moscadello, et cépages internationaux — cabernet, merlot, syrah, chardonnay. Le domaine produit une douzaine de crus aussi intéressants les uns que les autres et que nous allons maintenant déguster.
La salle qui peut accueillir une quarantaine de personnes autour d’une grande table en U, donne sur la verdure environnante, nous sommes au calme, dans les meilleures conditions de concentration possibles. Francesco Marone Cinzano qui sait y faire, rappelle que Col d’Orcia est situé au milieu d’un parc naturel protégé : « pas de grandes routes, un pur paysage méditerranéen, des vins provenant exclusivement de nos vignes et produits à la propriété en conduite raisonnée, vendanges manuelles sélectionnées à la table de tri, barriques et fûts en chêne français et slave, la tradition, la tradition… qu’illustre notre belle collection de vieux millésimes. »
— Spezieri 2009 Toscana IGT (13,8°). Sgv, merlot, cabernet avec un peu de ciliegiolo, un « cépage retrouvé » (voir le § sur Castellina di Castellare in « Vaste libation en Toscane » du 2 avril 2009) qui ajoute une touche d’épices exaltant la complexité des saveurs et des arômes. J’ai rapporté quelques bouteilles de ce vin moderne pour le faire connaître aux amis, dont Bénédicte et Emmanuel Mersch, qui en ont aimé la promesse (5,5 €, ***).
— Rosso di Montalcino DOC (Denominazione di Origine Controllata) 2008 (14,5°). 100% sgv (le sangiovese est appellé ici brunello, parce qu’il est précisément le cépage de l’appellation Brunello, post à venir sur le sujet), ce Rosso vieilli un an en fût de chêne, semble prêt pour notre table, même s’il apparaît moins leste que le précédent (10 €, **).
— Rosso di Montalcino « Banditella » DOC 2008 (14,8°). Issu d’une parcelle à 300 m. plantée voilà 10 ans de clônes de sgv qui donnent une des plus belles expressions à leurs Brunello, dont ce vin est une preview, vieilli en fûts de chêne des forêts de l’Allier, et aussi de Fontainebleau et de Blois dont je vois cité le nom pour la première fois en tonnellerie (14 €, ***).
— Brunello di Montalcino DOCG 2006 (14,5°). Le passage au Brunello proprement dit implique une stricte sélection des grappes à la vendange et des grains sur la table de tri. Après un vieillisement de 4 années dont 3 dans en fût de chêne français et slave de 25, 50 et 75 hl, puis encore 1 an en bouteille. La structure est confortable, l’allure aisée, la réputation méritée, le prix juste, mais lui manque à mon avis l’étincelle qui pourrait séduire faute de conquérir (21,5, **).
— Brunello di Montalcino Riserva DOCG 2005 (14,2°). Vieilli 2 ans de plus, 4 en fûts et 2 en b, ce Riserva confirme qu’en Toscane, contrairement à Bordeaux, 2005 reste une année moyenne : le vin n’est à mon avis pas bien ouvert, même si ses notes de goudron et de prunes confites lui confèrent de intensité, encore un peu austère (30 €, *1/2).
— Brunello di Montalcino « Poggio al Vento » DOCG 1998 (14,2°). Avec ce cru issu d’une parcelle exemplaire plantée il y a presque 40 ans, cultivé à faible rendement (40 quintaux/ha), vieilli 6 ans lui aussi, nous arrivons au cœur des caractéristiques du Brunello : robe d’un grenat profond, élégance et ampleur du drapé, maîtrise de la puissance tannique, sensation de naturel, longueur discrète… oui, nous sommes là en compagnie d’un vin qu’on a plaisir à servir aux amis sur un gibier ou une viande rouge, en regardant tomber les feuilles à l’automne (37 €, ***).
— Brunello di Montalcino DOCG 1991 (13,5°). L’étreinte caressante de ce cru magnifique nous mène au paradis, à la béatitude du corps et de l’âme, impossible de recracher (pratique pourtant indispensable à la santé du dégustateur), pourquoi faudrait-il que s’arrête l’extase ? Buvons donc et taisons-nous (hors catalogue, ****).
— Sant’Antimo « Nearco » DOC 2006 (14,6°). 50% merlot, 30% cabernet et 20% syrah, chacun fermenté et vieilli 12 mois séparément, puis élevés ensemble pendant 6 mois après assemblage, puis encore 1 an en bouteille. C’est un vin moderne aux allures de supertoscan, dont le profil devrait être plus familier pour un palais Français (mais devrait seulement, tant la typicité de ces cépages est propre au terroir d’ici), nous a aidé en douceur à redescendre des nuées du Brunello précédent. Voilà le genre de vin qu’il faut pour mieux comprendre l’avenir des crus caractéristiques comme ceux de Toscane, et aussi du Roussillon, du Douro, et des grands terroirs espagnols, qui tous se cherchent et souvent se trouvent (22 €, approximativement **1/2, car difficile à noter après le précédent).
— Moscadello di Montalcino « Pascena » DOC 2007 (11,6°). Muscat blanc de Montralcino. Clair et brillant comme l’or dans sa petite bouteille oblongue, ce nectar vient des nuées d’où nous sommes redescendus il y a quelques minutes, semble-t-il pareil à celui qu’on faisait ici-même il y a plus de 500 ans (19 € en 37,5 cl, ****).