DANIEL J. BERGER

Le Consorzio Val di Cornia DOC (Denominazione di Origine Controllata) nous reçoit pour un diner-dégustation à Gualdo del Re, un gîte à proximité de la petite ville de Suvereto, composé de plusieurs maisons séparées, restaurées ou neuves et installées en appartements autour d’une piscine.

L’œnotourisme, ici « agriturismo », qui se développe de plus en plus en Toscane et bien ailleurs, a permis à cette ancienne ferme de devenir gîte rural, accolé à l’exploitation viticole (20 ha), l’hébergement et la restauration venant en soutien des ventes de vin. Tenu par la famille Rossi père, mère, fils et fille, qui le tient elle-même du grand-père, l’ensemble est situé légèrement en hauteur face à l’Ile d’Elbe. Ils ne sont professionnels du vin que depuis 1986, aidés par l’œnologue Barbara Tamburini.

La jeune appellation Val di Cornia se cherche et veut s’affirmer, convaincue des qualités de son sous-sol et de ses terroirs, en concurrence avec Bolgheri, proche du lieu de naissance des supertoscans. On s’organise,  le consorzio ou syndicat d’appellation cherche à imposer sa région comme un vrai pays de vin.

Belle alliance mets-vins : la dégustation va être entrecoupée de menues portions de plats locaux – bouillon de bœuf mijoté, affettati (tranches de salaisons), divers salami comme l’ammazzafegato (« tueur de foie ») ou le capocollo sucré, salé et épicé, qu’on se passe de table en table, pâtes al dente aux courges fondantes, spaghetti au pecorino, ravioli aux orties et ricotta, sanglier à chair rose avec pois chiches, fèves noires et fagioli (haricots) cuits à la braise, risotto à la moelle d’os de veau, lièvre aux câpres, bruschetta, poisson aux épinards, croutons à tremper et tremper encore dans l’huile d’olive de la propriété, fromages variés avec des petits pains au romarin, biscotti au chocolat, gâteaux de pommes, polenta aux châtaignes… j’arrête là l’énumération (dé)concertante à la Sollers car j’en en oublie, il y a vingt vins donc vingt plats.

Commençons par deux blancs, « Valentina » 2009, un honnête vermentino 100% de Gualdo Del Re (5 €), et un sauvignon « Tenuta Sasso Orlando » 2008 (8 €), un peu boisé à mon goût et déjà vieilli.

Les rouges IGT (Indicazione Geografica Tipica) Toscana et DOC Val Di Cornia suivent. Le premier est un rosso cabernet-sauvignon (CS)–merlot–sangiovese (sgv) « Ceppitaio » 2009 sympathique et bon marché (5 €) de l’azienda agricola Russo.

Il est suivi d’un CS 100% 2009 « Tuttonatura » de la maison Rubbia Al Colle/Muratori, IGT Toscana bio dont il n’est produit que 10 000 b, remarquable par sa saveur, sa modération alcoolique (12,5°) et son rapport Q/P (8,5 €). La philosophie bio progresse en Toscane comme ailleurs, et se voit adoptée d’emblée par les jeunes viticulteurs qui débutent sans avoir connu la viticulture traditionnelle.

Leur succède un « Fillide » de La Fralluca, qui atteint un bon équilibre sgv–syrah–alicante; puis un autre Gualdo Del Re, sgv 2007, non filtré, puissant comme l’est son patron (12 €).
Arrive alors un surdoué dénommé « Esperienze », produit par un trentenaire à lunettes sans beaucoup d’esperienze justement, travaillant ses 3 ha en biodynamie tout seul, auquel je mets ***. C’est un sgv (30%) – CS de 2007 vendu 9 €. Nom de l’exploitation : Macchion dei Lupi. À retenir.

Les trois suivants, « Il Peccato » de Jacopo Banti, un CS 2007 passe partout, « Tenuta Sasso » 2006 CS aussi, qu’on dirait microbullé, et « Libatio », un sgv 2006 au nez de porto suspect, ne resteront pas dans mes annales. Et la journée a été longue, on est au 100ème vin sans doute, alors comment rester « vierge » (comme l’huile d’olive du même nom, que d’ailleurs à peu près toutes les exploitations agricoles toscanes fabriquent en quantité importante) ?

Suivent un Rosso Val di Cornia 2006 bio, « Coldipietrerosse » de La Bulichella récolté sur 14 ha, à l’assemblage original, 60% CS, 20% cabernet franc et 20% petit verdot, un beau vin noble et serein vendu 25 €. Le propriétaire est Hideyuki Miyakawa, également président du Consorzio qui nous invite ce soir. Le domaine est conduit avec fermeté et savoir faire : bio, densité équilibrée à 5000 pieds, agronome maison et la collaboration de l’œnologue vedette Luciano Bandini qui n’hésite pas sur son site perso (très perso) à afficher ses diplômes, prix, récompenses. Les vins de La Bulichella sont considérés parmi les meilleurs de la côte toscane notamment par le guide Slow Wine — oui ça existe, le slow wine, respectueux (de la lenteur) de la nature, adepte de la philosophie environnementale dérivée du mouvement Slow Food, qui a déjà 24 ans.

Puis un IGT Toscana 2006 « Spirto » des frères Gigli à l’azienda Sant’Agnese à Piombino (petit port face à l’île d’Elbe), que la macération carbonique branche, moi moins, rien de génial (à 15 €).

Ensuite un merlot 100% « L’Assiolo » 2006 de l’azienda Rigoli, à 15 € et auquel je vais donner 2,5* pour son originalité : le merlot peut avoir du bon hors St-Émilion, la preuve, cet IGT Toscana en plus du gras bordelais, sent le fruit frais et la menthe légérement acide, sur laquelle je vais rester si vous le voulez bien : abandon de poste et de deux Bulichella encore à servir, un « Aleatico » 2009 issu du cépage du même nom, emblématique du vin doux au parfum de muscat si cher à Napoléon pendant son séjour forcé de neuf mois à l’île d’Elbe, son « unique consolation » dit-on, et sans regretter son Chambertin.