DANIEL J. BERGER
Oui j’y étais invité, avec 285 autres dégustateurs de 40 nationalités.
Le Concours Mondial de Bruxelles est l’équivalent d’un championnat du monde du vin. L’éventail des vins qui concourent au CMB est le plus large de toutes les compétitions du genre.
Lors de cette 18ème édition, 7 386 échantillons de 50 pays participaient à la compétition, tenue cette année au Luxembourg (contre 6 964 de 49 pays en 2010, à Palerme).
Quelques faits et chiffres
— 7 386 vins et spiritueux de 50 pays (dont la France: 2 405 — Bordeaux et Languedoc-Roussillon en tête, l’Espagne: 1 474 — Riola et Castilla y Leon en tête; Portugal: 759);
— + de 50 jurys de 3 à 5 ou 6 jurés, 4 à 6 séries (flights) dégustées par juré totalisant, 50 échantillons (samples) à chaque session (trois matinées successives de 4 heures), 5 verres par juré renouvelés plusieurs fois par session.
— 85 serveurs de l’Ecole Hôtelière du Luxembourg.
— Une équipe d’organisation et management d’une quinzaine de professionnels à temps plein.
— Gestion des résultats par l’Institut Universitaire de Statistique de Louvain en Belgique.
— Droits d’inscription : 150 € pour chaque bouteille participant à la compétition.
— Depuis 2006, le CMB est itinérant : après Lisbonne, Maastricht, Bordeaux, Valence, Palerme et Luxembourg, en 2012 il se tiendra, du 4 au 6 mai, au Portugal, à Guimarães, berceau du vinho verde.
Règles du jeu
— Le but du concours est l’attribution de médailles individuelles aux meilleurs échantillons, en majorité des millésimes 2009 et 2010. La médaille d’argent va à un vin sans défaut, équilibré, de caractère; celle d’or à un vin de qualité inrtinsèque, doté de finesse et d’expression supérieures; la grande médaille d’or est attribuée à un vin dont la qualité supérieure s’applique distinctivement à chacun des critères de la grille de notation (fiche ci-dessous).
— Grille de notation (selon modèle proposé par l’OIV, ci-dessus)
Visuel (1ère case majeure partie gauche): limpidité, aspect et éventuellement effervescence.
Olfactif (2ème case) : intensité, franchise, qualité.
Gustatif (3ème) : intensité, franchise, qualité, persistance.
Jugement global (4ème case)
C’est le cumul des notes de chaque critère dans les 4 cases qui définit la note globale, sur 100 — 85-87.9 = argent; 88-95.9 = or; 96-100 = grand or.
— Des trophées ‘Best Wines’ sont attribués, en plus des médailles individuelles, aux meilleurs échantillons de 6 catégories : « Effervescent », « Doux », « Rouge », « Blanc », « Rosé », « Spiritueux ».
— Les vins présentés en « séries » sont dégustés à l’aveugle, masqués par un sac bleu pour les blancs, et rouge pour les rouges (photo page ci-dessus) toutes les deux minutes environ. Une « série » peut comporter de 5 à 15 échantillons, notés ensemble. L’identité de chaque série est dévoilée dès la clôture de la session.
Réflexions sur la conduite du dégustateur de concours (mes conclusions)
1. Concentration — La discipline de la dégustation en série et minutée nécessite une maîtrise des sens et des émotions impliquant une bonne connaissance de soi, de la mémoire, de la curiosité, de l’humilité.
La dégustation des séries de vins blancs, généralement servies en premier, se déroule souvent en douceur, et lorsqu’arrive celles des rouges, nos sens doivent faire appel à de nouvelles ressources pour changer de registre, et s’adapter à l’assaut des tannins, de la matière et de l’alcool.
2. Table de travail — Trois verres à dégustation étaient disposés sur un napperon papier sur trois cercles numérotés, avec un verre à eau à droite et (au début, hors photo ci-dessous), deux autres pour la mise en bouche ou « calibration » en anglais; les échantillons de mise en bouche étaient notés mais sans participer au concours : une répétition. Les fiches de notation des séries étaient disposées devant nous (jaunes pour les effervescents, dont la grille de notation diffère un peu de celle des fiches blanches, identiques pour tous autres vins). On disposait d’un seau pour recracher (ci-contre à droite, mais je l’ai placé ensuite à main gauche et craché en tournant le versant le plus long vers l’extérieur, pour éviter les éclaboussures). Un serveur dédié exclusivement au jury, versait dans le verre qu’on souhaitait : je lui ai indiqué le verre le plus proche de lui, n°3, que j’ai replacé en n°1 pour pouvoir le tenir de la main gauche et cocher les notes de la main droite. On n’avait que deux minutes entre chaque vin, chaque geste comptait. Et durant les pauses entre les séries, je rinçais régulièrement les verres ayant reçu du rouge avec l’eau minérale.
3. Jury — Les jurés, au nombre de quatre pour le jury dont je faisais partie, le n° 38, étaient: Véronique Besson-Rouvinez, œnologue suisse travaillant à Sierre (nièce du vigneron que nous rencontrerons lors à Sierre de notre voyage-dégustation ‘Mtonvin‘ dans le vignoble romand le 24.06); Manuel Vieira, portugais, œnologue en chef de Sogrape Vinhos à Avintes; Ico Turra, ingénieur-consultant italien, spécialiste des membranes (de séparation); et votre serviteur, présenté comme blogger. Nous faisions face à la « présidente » Helena Baker, dont c’était la 14ème participation au CMB, d’origine tchèque, experte internationale expérimentée — la seule à avoir reconnu la provenance de deux séries, Ribeira del Duero et Afrique du sud.
De gauche à droite :
notre serveur attitré, un intrus de passage, Ico Turra, Manuel Vieira, votre blogger de service, Véronique Besson-Rouvinez, entourant Helena Baker, assise
La présidente s’est efforcé de jouer les « mères de famille », donnant le tempo (timing, récupération de nos fiches signées) et veillant à la cohérence des notations (« si vous donnez un 92, alors cochez ‘Médaille d’Or’! ») — n’hésitant pas à rappeller que « au CMB, on aime les médailles ». Les fiches validées par elle étaient aussitôt ramassées pour une ultime vérification avant de partir au traitement.
4. Notation et médailles — J’ai eu parfois un peu de mal à jouer juste. Dans la partie « visuel » d’abord (1ère case de la fiche ci-dessus) : à la rare exception de rouges un peu opaques tant sur la nappe blanche qu’à la lumière des globes blancs aussi, tous les vins étaient « limpides » et de bon « aspect », méritant donc respectivement un 5 et un 10 (je me suis demandé si le visuel ne doit compter que pour 15% dans la note globale).
Ensuite, avec la partie « nez » (2ème case): peu de vins ont une intensité maximum notée 8; sur le critère « franchise », une odeur suspecte ou choquante peut-elle s’en accomoder, le vin peut-il être jugé sans défaut, les arômes disgrâcieux n’indiquent-ils pas une souillure ? J’ai jugé que oui. Conséquence, la « qualité » pouvait-elle être notée 14 ou 16 si la franchise n’était notée que 3, 4 ou même 5 ?
Enfin, à la « bouche » (3ème), intensité et franchise impliquent-elles forcément qualité, sous-entendu marchande ? Quant à la persistance, que j’ai assimilée à la longueur, il était souvent difficile d’en être bon juge, simplement par manque de temps.
Quant à la note globale, j’ai eu quelques difficultés à l’attribuer sans être influencé par les notes précédentes.
5. Vins dégustés — 103 échantillons servis en 15 séries, dont 1 série en rosés (11, du Languedoc, assez médiocres); 2 en effervescents (20); 3 en blanc (24), et le reste en rouge (48).
J’ai été impressionné par les séries de rouges espagnols (surtout Ribera del Duero, un peu moins Murcia) et sud-africains (Stellenbosch); et bien apprécié les séries du Languedoc (Corbières) et du Rhône (Rasteau).
Les blancs de Tchéquie (chardonnay de Moravie) m’ont paru bien supérieurs à ceux de Galice (Rias Baixas) et surtout à ceux du Chili, mineurs (valle Central, de Maule, Rappel, Elqui, Casablanca).
Les effervescents tchèques (Moravie) m’ont étonné favorablement, bien meilleurs que les Cava (Catalogne et Valence).
6. Enseignements — Je n’ai pas fait l’addition des notes à chaque fiche, laissant ce soin au computer. Vérifiant mes chiffres une fois rentré à Paris, je me suis rendu compte que j’ai attribué 75 médailles d’or (88-96) et 20 grandes médailles d’or (96-100) : j’ai médaillé en or deux vins sur trois !
Bien déguster, c’est se garder de jugements trop entiers ou spontanés, un peu comme en politique. C’est pouvoir se placer au présent (du vin) certes, mais entre sa provenance géographique/historique supposée et son futur (imaginer la garde). Et savoir pondérer par rapport aux autres échantillons. Le rythme soutenu et la succession de vins de nature assez proche auraient dû m’aider à me méfier autant de l’emballement (Ribera del Duero) que de la sévérité (à l’égard de certains blancs et effervescents), et à me garder des pics de notation trop marqués. Je le saurai pour la prochaine fois Frédéric !
Choyé dès l’accueil du hall d’exposition, servi sans défaut ni retard (versement impeccable dans le verre, renouvellement rapide du seau, des serviettes, des petits pains, approvisionnement régulier en eau minérale), pris en photo aux moments-clés de nez et de bouche, j’ai, quelques secondes, eu l’illusion d’accomplir quelque chose d’important et, en même temps, le sentiment d’être ignorant, d’usurper mon rôle, d’agir en d’imposteur. C’est sans doute que l’organisation était inattaquable, tant chaque rouage fonctionnait bien à sa place, et que j’avais la mienne sans l’avoir vraiment cherchée.
Un même vin peut avoir été servi deux fois dans une série — nous avions été prévenus —, un piège pour juger de la cohérence et de la pertinence du travail de dégustateur, qui peut en effet donner deux notes différentes à un même vin sans s’être aperçu qu’il le goûte pour la 2ème fois.
Certains dégustateurs francophones ont suggéré que les séries soient thématisées, càd que soit formellement annoncée une ou plusieurs données ou caractéristiques (provenance, cépages, combinatoires) afin d’assouplir les conditions strictes d’anonymat des échantillons (aucune indication autre que couleur et millésime).
Chacun de nous recevra son profil fondé sur l’analyse de notre comportement vis-à-vis du jury et de l’ensemble des dégustateurs pour chaque série, et pour le concours dans son ensemble. Je suis impatient de savoir.