Baisse de prix, hausse de consommation, partenaires français
Delhi — Le lobbying des restaurateurs-hôteliers et importateurs indiens a porté : l’augmentation supplémentaire de 25% de la taxe sur les vins importés (actuellement 200 % et plus) prévue en février dernier dans l’État du Maharashtra (Mumbai) a été ajournée par le gouvernement. Geste politique avant les élections fin 2008 ? Sans doute, mais aussi constat que dans les Etats où les taxes sont moindres, comme le Haryana ou l’Uttar Pradesh, la consommation de vin augmente. Selon les sources, elle croît de 30 à 60%/an sur un marché protégé par ces taxes exorbitantes. L’Inde réussira-t-elle encore longtemps à protéger son marché intérieur des vins d’importation, en transgressant les règles de l’OMC et en empêchant les vins indiens, aux coûts de production élevés, d’être compétitifs à terme sur le marché mondial ?
La viticulture indienne a débuté il y a 25 ans dans le Maharashtra, qui concentre 80% du vignoble indien. On compte aujourd’hui 50 entreprises produisant environ 100 000 hl/an. Mais la surface du vignoble (3 000 ha) ne s’étend guère plus de 800 ha/an, car la disponibilité en plants est réduite, les investissements fonciers ne sont pas autorisés (accès à la terre réservé aux agriculteurs). Le vignoble est exploité sur de petites surfaces (1 à 10 ha) avec recours au crédit car le prix du foncier est très élevé, environ 25 000 €/ha et un coût de plantation avoisinant 10 000 €/ha.
Les viticulteurs doivent affronter un climat tropical difficile et compter avec deux saisons : de juillet à octobre, la mousson, avec un taux d’humidité élevé et une invasion parasitaire nécessitant de gros traitements phytosanitaires; et la saison sèche, sans froid hivernal avec de nombreux insectes ravageurs, comme la cochenille. Deux tailles de la vigne sont nécessaires, en octobre et en avril après les vendanges et l’irrigation par goutte-à-goutte est largement répandue.
Les coûts de production sont élevés : les importations de plants, matériels de culture et de chai, et produits phytosanitaires et œnologiques sont taxées à 30% (par rapport aux prix en France). Le prix du raisin ressort entre 0,5 et 0,7 €/kg, 0,8 € pour les cépages les plus demandés comme le Chardonnay, et le cours du vin de cépage de qualité s’établit aux alentours de 200 €/hl, des prix stupéfiants par rapport au niveau de vie indien: le salaire moyen se situe à 2 €/jour hors les 300 millions d’Indiens qui ont du pouvoir d’achat. Mais les quantités produites restent très largement insuffisantes face à la demande intérieure.
Le marché indien du vin croît de 35% par an
En Inde, les premières plantations ont été réalisées avec les cépages les plus diffusés: en blanc, Sauvignon, Chardonnay et Chenin; en rouge, Cabernet sauvignon, Merlot, Syrah et Zinfandel. Chenin, Cabernet sauvignon et Syrah se sont bien adaptés et donnent maintenant des vins de bonne qualité. Mais Merlot et Chardonnay ne réussissent pas bien et les rendements sont faibles.
À ce jour, le marché tourne autour de 12 millions b/an et croît d’environ 35% annuellement. Chateau Indage est leader avec environ 35% du marché, devant Sula (15%) et Grover Vineyards (8%). À travers sa filiale Seagram, le groupe Pernod-Ricard a construit un chai dans la vallée de Nashik, la « Wine Capital of India », et lancé une gamme de vins indiens sous la marque Nine Hills. Il a été suivi par le groupe UB, n°1 indien de la bière et des spiritueux (et qui a aussi des activités dans l’aéronautique) qui développe son activité vin à travers ses deux filiales United Vintners et Four Seasons. Il est aussi en passe d’acquérir des vignobles en Australie. Le 1er vin de marque Four Seasons, baptisé Zinzi, vient d’être lancé à 240 Roupies/b (4 €). Dans les 5 années à venir, Four Seasons compte lancer 7 autres vins, dont un pétillant type Bouvert Ladubay, visant à terme 35% de parts de marché avec 7-9 millions b.
À l’occasion des Journées du livre et du vin à Angers, Abhay Kewadkar, le « Chief Wine Maker » de Four Seasons a annoncé un accord d’exploitation en fermage de 400 ha de vignes à Baramati dans le Maharashtra, s’ajoutant aux 160 ha déjà exploités, et un projet de plantation de vignes à Bangalore et à Nashik.
Voir De Baramati à Angers dans “Dégustations — Tastings”
Les Français bien placés
L’Inde n’a pas encore acquis toutes les compétences techniques pour pouvoir gérer seule le développement de son industrie vitivinicole. Un « Institut National de Recherche sur la Vigne et le Vin » a été créé à Pune. Les caves s’entourent de conseils internationaux comme Michel Rolland et Riccardo Cotarella et aussi d’œnologues australiens et sud-africains. Plusieurs tonneliers français et fournisseurs de produits d’œnologie comme Laffort et Lallemand sont présents. Pour les plants de vigne, la France est le 1er fournisseur, et un partenariat s’est noué dernièrement entre un pépiniériste français et un opérateur indien pour la production de plants à moindre coût de revient. D’autres projets doivent contribuer à créer une filière indienne de pépinières viticoles en faisant appel en majorité au matériel végétal français.
Un accord franco-indien a été signé portant sur un programme d’expérimentations de porte-greffes, clones et cépages, en vue d’identifier les solutions les mieux adaptées aux conditions climatiques et aux exigences du marché, qui réclame des vins à la fois aromatiques et épicés : « Dans ce pays qui découvre le vin, le savoir faire français va jouer pleinement son rôle à côté de la culture australienne, californienne ou sud-africaine » ajoute Abhay Kewadkar, qui rappelle avec un sourire désarmant : « Par an, en France, la consommation de vin est de 50 l/habitant : en Inde, elle n’excède pas une cuillerée… »
Un rapport sur la consommation d’alcool en Inde
Le gouvernement indien vien de publier un premier Atlas de l’alcool établi dans un but initial de prévention, donnant un aperçu de la production, de la distribution, des circuits de vente, de la consommation, etc. L’Inde possède l’une des premières industries du monde, avec une production d’environ 4 millions de tonnes d’alcool, soit 65% de la production de l’Asie du sud, où le vin occupe une part infime.
21% des adultes de sexe masculin et 10% de sexe féminin boivent de l’alcool, dont 17% regulièrement, dès l’âge de 19 ans, contre 28 dans les années 80, qui pourrait descendre à 15 d’ici cinq ans. Soit 62, 5 millions d’individus.
Le Kerala est le 1er Etat pour la consommation, suivi du Maharashtra et du Punjab, et du Gujarat, bien que l’alcool y soit interdit. C’est au Jammu et Cachemire qu’on boit le moins, sans doute pour raisons religieuses. Le ministère de la santé a appelé les producteurs de cinéma à ne plus montrer de consommation d’alcool à l’écran, ce qui a été largement critiqué dans les media.
Voir De Baramati à Angers dans « Dégustations — Tastings »