LA 7ÈME ‘CUVÉE MTONVIN’ (SUITE)
La cuvée spéciale ‘Mtonvin’ n°7 a été lancée le lendemain du déconfinement 1ère phase. C’est la première fois qu’une cuvée spéciale ‘Mtonvin’ comprend deux vins, millésime 2016 : le médoc Château Tour Haut-Caussan, et le corbières Château Cascadais, dont le 2011 avait déjà fait l’objet d’une cuvée spéciale et été très apprécié.
La période de pandémie est très difficile pour les viticulteurs privés à la fois de distribution dans l’Hexagone et d’export à l’international. Cette cuvée spéciale n°7 est notre manière de soutenir la famille Courrian, dont les vins remarquables à prix raisonnable correspondent bien à l’esprit ‘Mtonvin’.
Le propriétaire des deux domaines, Philippe Courrian, commente sa carrière de plus de soixante ans. Suite du premier chapitre…
NOTRE RÉCIT DES VINS DE PHILIPPE COURRIAN (2)
Philippe Courrian (ci-contre) a quitté le séminaire à l’âge de 13 ans pour venir travailler au domaine de ses parents dans le Médoc à Blaignan, au château Tour Haut-Caussan. Au début il peine à en vivre et doit aller travailler ailleurs comme régisseur. Il en revient assez vite « car, croyez-moi, mieux vaut être pauvre chez soi que chez les autres ! » Il travaille la vigne d’abord avec un cheval, et en 1965 « il y a eu engouement pour le tracteur, le rendement, la rentabilité, l’industrialisation… Souvent au détriment de la qualité, ce qui n’a pas forcément enrichi les vignerons. »
Mais la roue de la fortune ne va pas l’oublier: moins de 10 ans après ses débuts, en 1973, il vend au plus cher toute sa récolte au négociant américain Alexis Lichine installé à Bordeaux. Il est sorti de l’ornière, on le remarque, on écoute désormais M. Philippe Courrian.
En 1992, il achète dans les Corbières les dépendances du château Saint-Laurent à M. de Bermon de Vaux, un vieux moulin enfoui sous les ronces et huit hectares de vignes quasi abandonnées.
La propriété nichée dans la vallée de la Nielle, entourée de collines de garrigues et de pinèdes, est traversée par une petite rivière et de multiples cascades : il la rebaptise Château Cascadais.
Laissons donc Philippe Courrian préciser quelles étaient ses intentions d’alors (d’après son livre Vigneron du Médoc (*).
Du Médoc aux Corbières
« Après 50 ans passés dans le Médoc, j’ai eu envie de vivre autre chose, de repartir vers une nouvelle « quête métaphysique ». Et en 1992 les Corbières se sont trouvées sur mon chemin : je suis tombé amoureux d’une petite vallée avec quelques vignes autour. Au pied de maisons plusieurs fois centenaires coule une rivière qui dégringole de la montagne au rythme de cascades où l’on se baigne en été. Ces collines des Corbières rassemblent et résument toute ma vie avec l’idée rassurante de cette quiétude que je retrouve chaque fois que je pénètre dans ma vallée. Ce poste frontière, ces châteaux accrochés aux nuages, l’idée de ce Sud et cette présence cathare, l’austérité de cette nature restée pratiquement vierge, et bien sûr la vigne, tout me poussait vers ce pays. Je suis vigne et ne pouvais l’être que là. »
Il ajoutait : « Je vais redevenir paysan au sens le plus noble, je vais modeler le paysage et retrouver l’accord entre l’homme et la nature. Comme je mets mes raisins à ras du sol, au point de rencontre du pouvoir tellurique et du pouvoir cosmique, ce point de jonction me fascine. Mes dernières années d’exercice, je les vois ici dans ces Corbières, à rechercher les racines de la création du vin, avec une certaine virginité qui a disparu dans le Médoc. »
C’est en septembre 2005 que je me suis rendu à Cascadais — oublions vite le « château », la métairie ombragée aux volets bleus que Philippe Courrian a restaurée ne prétend qu’à la simplicité, l’intimité même. Il m’y a accueilli par ces mots : je ne sais pas pourquoi vous êtes ici, mais vous êtes le bienvenu. Il m’a tendu un panier en osier avec du pain, de la terrine et du saucisson, des fruits et une bouteille, puis m’a dit en souriant: allez vous promener dans les vignes, profitez de la nature, voyez comme elle est belle, moi j’ai à faire, nous nous verrons ce soir.
J’ai découvert sous le soleil généreux de septembre d’après les vendanges un vignoble en forme de cirque, où s’écoulent en silence de multiples petites cascades formant autant de lagons vert jade.
Au détour d’une haie j’en ai trouvé un à l’ombre (ci-dessous) et je me suis posé, « Vigneron du Médoc » en main que j’ai relu d’une traite, en allant de temps en temps piquer une tête dans l’eau claire.
Le terroir de Cascadais. Entre fin du Massif Central et début des Pyrénées, les Corbières sont parsemées de collines (400 à 500 m), aux couleurs changeantes et aux reliefs variés, rappelant par endroits celles de Toscane. Sur les sols de calcaire et de schistes la végétation est rare voire absente, à l’exception de la vigne cultivée dans les parties les moins arides.
Les vignes de Cascadais comprennent les cinq cépages traditionnels de la région — vieux carignan, grenache noir, syrah et dans une moindre mesure, mouvèdre et cinsault. Elle donnent des vins d’un rouge grenat foncé, dégageant au nez des arômes de fruits noirs et rouges (cerises) mûrs, avec des notes poivrées et de réglisse, accompagnés d’odeurs de garrigue, de violette, de thym et romarin. En bouche, ils sont opulents, harmonieux, fruités et solidement charpentés, la matière est extraite avec art, on sent la chair et le gras, avec en finale de la fraîcheur sur une trame minérale. On ressent l’authenticité du terroir avec une impression d’exotisme sur la longueur.
Écrire la suite de « Vigneron du Médoc ? » J’étais venu lui proposer d’écrire une suite à ce livre que je trouvais passionnant par sa franchise, et son exigence et sa modestie à la fois. À la fin de l’après-midi j’ai retrouvé Courrianà son logis et nous avons discuté dans sa grande cuisine rustique en dînant et en buvant, interrompus la nuit tombée par le passage de collègues vignerons dont la langue résonnait fort.
Chez Philippe Courrian, déguster est un exercice sans faste ni manières, alternant ce soir-là Corbières, le sien et ceux d’amis, et Médoc notamment le fameux Tour Haut-Caussan 1990 en magnum, en dissertant sur leur personnalité et traits respectifs. Il parlait du tannat 100% qu’il commençait à élever en barriques, venues de Tour Haut-Caussan. Surpris par la facilité avec laquelle les vins se laissaient boire, j’écoutais, prenais des notes, questionnais, discutais et à un moment j’ai perdu pied… pour me retrouver le matin suivant tout habillé sur le lit d’une chambre au premier étage.
Il m’a emmené déjeuner à l’Abbaye de Lagrasse (ou était-ce Fontfroide ?) et là m’a confié qu’il ne pouvait pas laisser à un autre que Michel Creignou le soin d’écrire une suite genre « Vigneron des Corbières ». Pas sûr d’ailleurs qu’il en ait eu très envie, je n’ai pas cru bon d’insister, respectant sa fidélité envers le journaliste qui l’avait fait connaître au grand public. Le livre possible ne s’est jamais fait, dommage, j’aurais bien aimé qu’avec sa sensualité, son acuité et sa sagesse, il comment comment il allait élaborer « un vin [qui] ressemble à l’écriture d’un poème », ainsi qu’il le dit à la fin du livre, conclu en ces termes : » le vin a sa force interne, sa propre inertie qui conduit à la création. […] La création de l’art n’est pas intellectuelle mais la consommation de l’art passe impérativement pas l’esprit. »
Voilà quelques raisons qui nous font aimer les vins de Philippe Courrian et admirer hier comme aujourd’hui l’homme qui les produit, surpris de tout, étonné de rien, et la manière dont il mène sa vie, les étapes de sa pensée, de son imagination, de la maîtrise de son art auquel il tient.
(*) Vigneron du Médoc
Philippe Courrian, Michel Creignou, Éditions Payot, 1996, encore disponible neuf ou d’occasion sur les sites spécialisés — Rakuten, AbeBooks, Momox, Amazon, etc.
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ALAIN DUTOURNIER, chef étoilé du Carré des Feuillants et du Trou Gascon à Paris, son ami (interview La RVF 2018)
« Philippe Courrian, c’est la mémoire du Médoc. Il n’a pas eu la chance de vinifier un grand terroir, sa propriété familiale étant tout au nord du Médoc. Mais justement, il a fait de Tour Haut-Caussan un vin sublime. Imaginez ce que cet homme talentueux aurait fait d’un terroir plus noble. Philippe, c’est la passion, avec une extraordinaire connaissance de la viticulture du Médoc. Il est allé ensemencer ses connaissances à Cascadais, dans les Corbières. Avec sagesse, il réveille ce vignoble. »
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JACQUES DUPONT, Rédacteur en Chef Vin (article Le Point 2019)
« Blaignan, un point sur la carte dans ce coin perché du Médoc, non loin de l’estuaire, où rien ne semble bouger. Paysage identique de vignes et de petites routes où l’on peut se perdre, la présence du fleuve que l’on n’aperçoit pas, mais dont on devine en permanence la force. Rien n’a changé, sauf les propriétaires. Véronique et Fabien Courrian, quatrième génération sur le domaine, une famille médocaine pur jus depuis le XVIIe siècle (au moins), peuvent en témoigner : « On était dix-huit producteurs, on n’est plus que trois. Aujourd’hui, 60 % du vignoble appartiennent aux Chinois, 20 % au Crédit Agricole et le reste, c’est nous. Les problèmes de succession, les gens qui ont vendu leurs vins via la grande distribution et qui, pressurés, se sont retrouvés sans trésorerie... »
« Avec leur fichier de 6 000 clients, les Courrian qui ont toujours misé sur les particuliers, les cavistes et la restauration, maintiennent leur activité même si les temps sont difficiles. Les prix raisonnables pratiqués par le domaine n’y sont pas pour rien, mais c’est surtout la qualité des vins qui fidélise la clientèle. […] Tour Haut-Caussan a trouvé depuis longtemps son équilibre, une position délicate et qui demande de l’humilité de la part du vinificateur : un vin de garde, notre dégustation le prouve, mais qui peut se boire jeune. Philippe Courrian, le papa du duo, avait installé la légende, créé la notoriété. Fabien qui gère la vigne et le chai de Tour Haut Caussan, et Véronique qui s’occupe de vendre les vins y compris Cascadais en ont affiné les pratiques.«
« Philippe, lui, a pris le large ou plutôt le sud en rachetant en 1992, une petite vallée dans les Corbières qui a coûté le prix de trois hectares de médoc. Un paradis entouré de cascades – le vin délicieux qu’on y produit s’appelle Cascadais – d’où il sort rarement sauf pour venir voir ses enfants et casser la croûte avec son ami Michel Tesseron à Château Lafon-Rochet » (Grand Cru Classé Saint-Estèphe)
Dégustation Château Tour Haut-Caussan 2016 : 15,5/20 – Fruits noirs, fermé, bouche ronde, fondue, joli fruit, bonne matière, tanins vifs, un vin nerveux, fruité, tendu. Joli vin frais et de garde. 12,80 €.
Dégustation Château Cascadais (Bio) 2016 : 15/20 – Nez épicé, notes de garrigues, bouche serrée, tendue, fruits noirs. 7,80 €.
ATTENTION, les prix consentis pour les deux vins de la cuvée spéciale ‘Mtonvin’ n°7 ne sont pas ceux publiés ci-dessus: pour en savoir plus, contactez-nous via <contact@mtonvin.net>
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Photos Vincent Pousson