LES VIGNERONNES DE SETÚBAL (6/6)
REMANESCENTES
De ce voyage dans la Péninsule de Setúbal débuté il y a deux mois jour pour jour, j’ai quelques « remanescentes », à commencer par Madame Leonor da Freitas, marchant (dans une video corporate) sur l’esplanade devant l’imposant château de Palmela, impériale, maîtresse d’elle-même comme de l’univers, et que je regrette de n’avoir pu rencontrer en personne.
1. ANDREIA ET LUIS
Andreia Lucas et Luis Narciso ont été mes guides, pour moi tout seul du fait de la défection de la journaliste canadienne Liz Palmer.
Dans les moments passés à discuter ensemble, leur remarque revenait souvent: « nous sommes un petit pays. »
J’avais beau leur dire que le Portugal est le 4ème producteur européen; qu’il a fait dernièrement des progrès à pas de géant, plutôt plus vite que la région Languedoc par exemple; que leurs vins ont atteint, hors Porto, Moscatel et Madère qui l’ont toujours eu, un niveau de qualité mondiale; qu’à chaque voyage on en constate les avancées; et qu’ils possèdent du nord au sud une diversité viticole inégalable.
Rien n’y faisait, ils continuaient de me regarder avec une mine incrédule.
Je leur disais que le Portugal est le 9ème exportateur mondial et que l’Afrique lusophone, le Brésil, les Etats-Unis, la Chine dégustent peut-être plus de vins portugais qu’italiens, espagnols ou français. Ils m’apprenaient qu’en France (importateur n°1), les Portugais installés depuis maintenant trois ou quatre générations, ils sont environ un million, ne boivent pas tous le vin de la « saudade » (*), ajoutant que la signature « vin du Portugal » n’est pas un facteur suffisant. Je leur faisais remarquer que leur pays n’est pas atteint du mal hygiéniste comme la France, où la consommation baisse drastiquement. Ils me répondaient que si elle ne faiblit pas dans leur pays où le vin est un aliment quotidien comme il l’a été jadis en France, en Espagne, en Italie, c’est aussi parce qu’elle est soutenue par les touristes.
Je leur disais : créez des événements à retentissement mondial,
faites savoir combien de médailles vous remportez aux concours internationaux,
vous avez l’un des plus beaux profils viticoles au monde,
arrêtez d’être seulement le « trésor le mieux caché d’Europe ».
Soyez intraitables, soyez radicaux.
Mais je faisais sans doute fausse route, la radicalité n’est pas dans la psyché lusitanienne, comme le montre l’azulejo de ce sage vigneron.
(*) saudade ou sentiment d’un manque ou d’une absence — du passé, d’une personne, d’un lieu — et espoir-désir de les combler, une manière d’être présent dans le passé, ou d’être passé dans le présent, qu’on pourrait traduire (maladroitement) par « nostalgie ».
Eduardo Lourenço, Mythologie de la saudade, Essais sur la mélancolie portugaise 1997.
2. OFFRANDE AU CIEL
En revoyant dernièrement Le Mépris de Jean-Luc Godard, avec ses allusions à Ulysse et ses invocations aux dieux grecs, film dont le dernier plan est un ciel bleu immaculé où s’inscrit le mot FIN, j’ai repensé à la dégustation du blanc Sobroso de la Herdade du même nom, là où a été clos en Alentejo notre périple, par le salon VINIPAX. Filipe Teixeira Pinto, le propriétaire (bien) inspiré, nous l’avait à dessein organisée en altitude dans cet environnement extraordinaire — les méandres du Guadiana à 600 mètres plus bas au loin vers le nord, le sud éclatant de lumière où le fleuve va se jeter dans l’Atlantique à la frontière espagnole, et vers l’ouest les plantations d’oliviers et de vignes gagnées sur le désert –, pour hisser son vin en résonance avec l’immensité : j’ai eu l’impression d’une offrande au cosmos de l’homme humble mais fier.
3. DÉGUSTATION À PALMELA
Cette dégustation à la Maison de la route des vins à Palmela a été pour moi la plus représentative de la péninsule de Setúbal en termes de diversité, de qualité et de rapport Q/P.
BLANCS :
— Alcube 2018 (cépages fernão pires et moscatel, 13°, 4,50 €), nez d’agrumes et de pommes, persistance en bouche. Fait penser en plus rond au Vinho Verde (qui utilise le fernão pires en l’assemblant à l’alvarinho).
— Cobaia 2014, vin orange vinifié comme du rosé en macératon pelliculaire, goût amer de noix et de bois (chêne hongrois), cuvée expérimentale de 300 b (100% fernão pires, 13°, 14,75 €).
ROUGES :
— Quinta da Invejosa Reserva 2017 : les tannins ne sont pas encore bien fondus, trop puissant à mon goût, à attendre (100 % castelão, 14°, 7 €).
— Quinta do Monte Alegre 2016, de la localité de Fernando Pó, à boire maintenant (100% syrah, 14°, 6 €).
— Herdade da Comporta 2015, assemblage élégant (touriga nacional 50%, castelão 25%, syrah 25%), à attendre encore (14°, 11,30 €).
— Malo 2016, trois années en fût de bois (touriga nacional et castelão, 14°, 10 €).
4. MON RÊVE DE SETÚBAL
Une nuit, je me suis éveillé en sursaut au milieu d’un rêve : sous l’eau caressante au large de la péninsule de Setúbal, une image m’apparaissait, celle d’un dauphin et d’une sirène, un peu comme sur la photo ci-dessus.
Ce n’était pas l’emprise du vin, je n’en avais pas bu (recracher n’est pas ingurgiter), mais sans doute la très grande taille du king size bed de la Pousada Castelo da Palmela sur lequel je pouvais m’ébattre sans réserve.
J’en rêve encore.
5. QUELQUES CHIFFRES 2018
Superficie du vignoble portugais: un peu moins de 190 000 hectares contre 240 000 il y a 10 ans (Languedoc 236 000 ha).
Dix régions: Minho; Trás-os-Montes, la plus grande (4 sous-régions dont Dão, 57 000 ha); Tage; Lisbonne; Setúbal (+ Palmela, 7 300 ha, l’une des plus petites); Alentejo; Algarve; + Açores et Madère.
Vignoble très atomisé: on parle de 300 000 exploitations équilibrées entre coopératif et privé.
Encépagement: rouge au 3/4 castelão; blanc au 2/3 fernão pires et moscatel.
Production: 6,1 millions hectolitres (Languedoc 13,6 Mhl). Rendements: 50 hl/ha (pour 50% de la superficie), parmi les plus faibles d’Europe. 4ème producteur européen et 11ème mondial.
Exportation: 9ème exportateur mondial, en volume comme en valeur (952 M$). La majorité de vins embouteillés (76,8%), le vrac représentant 22,5%. Principaux clients: France (14,5%), USA (10%), Allemagne (9%), UK (9%), Brésil (6,50%).